Critique de la raison « PIR »

Analyse rhétorique de Les Blancs, les Juifs et nous

Un rayon de soleil sur le soir qui tombe. Musique et fanions. Une « cantine associative » de banlieue qui annonce, pour le meeting de ce soir, une invitée de marque : Houria Bouteldja, porte-parole du Parti des Indigènes de la République, malmenée par la « bonne conscience de gauche ».

Dès mon arrivée, je suis corrigée par l’une des organisatrices : il ne s’agit pas d’un « meeting » mais d’un « débat ». Tant mieux : je présume qu’il y aura échange contradictoire. D’ailleurs, une autre invitée est annoncée : la philosophe belge Isabelle Stengers.

Autour de moi, les discussions témoignent de l’enthousiasme des participant.e.s : la pensée de Bouteldja est tellement « fine » que beaucoup avouent « ne rien y comprendre ». Je me demande donc, un peu perplexe, sur quelle base repose leur adhésion à son système. D’autres commentent certaines de ses sorties médiatiques : « quand elle dit  »Nous, on a l’Humanité avec nous ! », elle est magistrale ! ». En voilà, une phrase à l’argumentation imparable ! Qui peut se prévaloir d’avoir « l’Humanité » avec soi ? Il faut avoir pris le temps de recenser tous ses partisans de part et d’autre du globe ! Ce simple travail mérite à lui seul que je tire mon chapeau.

Enfin, les voix se taisent et le « débat » commence. Toutes les voix se taisent : Bouteldja et Stengers ressemblent à deux dames trop polies qui veulent à tout prix laisser l’autre passer en premier. « Vous d’abord ! Je n’en ferais rien ! » Pourtant, l’organisatrice les a déjà présentées, insistant sur sa « joie » d’avoir comme invitée la représentante du PIR, hélas1 vilipendée et boudée par les médias (elle était invitée sur France 2 par Taddéi la semaine d’avant, mais bon).

Isabelle Stengers prend la parole. Pour aussitôt se lancer dans un panégyrique de Bouteldja pour le moins désarmant : au contraire de l’oratrice, la jeune femme a connu, eu égard à ses origines extra-européennes, une histoire terrible qui explique l’acuité de ses analyses et son courage dans ses combats. Je me retourne : que des Blancs autour de moi. Stengers me semble à l’image du public, cherchant dans une forme de « communion » avec Bouteldja l’absolution pour ce terrible péché qu’est le fait d’être né blanc. Et la philosophe belge de se donner la discipline pendant cinq bonnes minutes.

Ca y est, la porte-parole du PIR parle. Que dit-elle ? Le courage qu’il faut pour oser réfléchir et parler en ces temps de diktat post-colonial. C’est un travail difficile qui, Isabelle Stengers a raison, demande beaucoup de courage. Risquerait-elle sa vie et sa prison pour ses idées ? Non, elle me rassure aussitôt : ce qu’elle met en balance, c’est sa « respectabilité ». Bon, si sa crainte est seulement de plus être invitée à grignoter des petits fours, me voilà soulagée. Mais, ajoute-t-elle, c’est pour gagner quelque chose de bien plus précieux qu’elle fait ce sacrifice : la « dignité ». C’est au nom de cette « dignité » (le mot est martelé cinq ou six fois en trois minutes) que les « Indigènes » doivent sacrifier leur « respectabilité ». Voilà les enjeux posés : dignité vs respectabilité.

  1. « Au commencement était le Verbe ». Du bon usage du flou lexical

Je m’interroge sur cet usage des noms abstraits en « -té » dont le choix n’est pas uniquement présidé par la rime. Ces substantifs, par leur abstraction même, ont un contour sémantique assez flou, qui permet à chacun d’y entendre ce qu’il souhaite2. De la part de quelqu’un qui reproche volontiers à la pensée post-coloniale de penser en catégories universelles et abstraites, je trouve la farce assez osée.

Il est vrai, Houria Bouteldja affectionne en réalité les substantifs abstraits, qu’il s’agisse du néologisme « blanchité », lui aussi nom de qualité en « -té » qui apparaît dès le premier chapitre dans son livre Les Blancs, les Juifs et nous, ou des catégories « race », « Blancs », « Juifs » et « Indigènes » dont elle prend soin de préciser qu’il s’agit sous sa plume de catégories sociales et non de faits de peau3. Ainsi, on ne saurait lui reprocher de tomber dans le travers de ses ennemis, c’est-à-dire d’élaborer une pensée raciste.

Ce goût pour les termes abstraits et mal définis apparaît dès le sommaire : après un premier chapitre aux allures d’introduction intitulé « Fusillez Sartre ! » auquel elle reproche de ne pas avoir été « traître à sa race4 », elle propose un chapitre au titre éloquent, « Vous, les Blancs », deux autres « Nous, les Femmes indigènes » et « Nous, les Indigènes » avant un dernier « Allahou akbar ! ». Un sommaire qui témoigne clairement d’une bipartition nette entre ce « nous » et ce « vous » articulée autour de conflits qui opposeraient fondamentalement les « Indigènes » – entendez : ceux qui relèvent de cette « catégorie sociale » – et les « Blancs ». L’opposition « dignité »/ « respectabilité » serait donc une réponse à l’alternative « blanchité »/ « décolonialité », p. 64.

  1. « Et la tendresse, bordel ! ». Du bon usage du manichéisme

Car, en plus d’aimer les mots abstraits, Bouteldja aime les oppositions franches, se prévalant en cela de la pensée de Fanon : « Le manichéisme du colon produit un manichéisme du colonisé 5». C’est ce qui lui permet de voir des « paradoxes » un peu partout (le terme apparaît deux fois en deux pages, pp. 19 et 20, pour définir l’attitude à la fois anticoloniale et « blanche » de Sartre et l’amitié de Genet pour les colonisés comme pour les Juifs6) mais aussi de donner rapidement à son livre une préoccupation morale plus que politique : elle oppose les méchants aux « gentils 7», l’« innocence 8» à la culpabilité (p. 30) en dépit de la protestation «  je ne suis pas moraliste » (p. 64). Remarquons au passage qu’elle manie tour à tour ces mots avec ironie (p. 30) ou premier degré (p. 23), brouillant ainsi l’énonciation de son texte. La lecture globale du livre fournit toutefois la clé : ces mots sont employés de façon ironique quand ils prétendent rendre compte du discours « blanc ». Enfin, elle leur substitue habilement le terme encore plus flou de « laideur » (pp. 35 et 39 : « votre laideur intrinsèque ») sans le définir ni que l’on sache ainsi en quoi elle consiste.

  1. « Et hop ! Ni vu, ni connu, j’t’embrouille ! » Du bon usage du brouillage énonciatif

Cette rhétorique qui consiste à jouer tout à la fois de l’indéfinition des termes et des oppositions apparaît au sein du livre dans l’évolution référentielle des deux pronoms précédemment cités, « nous » et « vous ».

Le second désigne tout d’abord « les Blancs », comme elle l’explique au début de son deuxième chapitre9, puis les Juifs au troisième chapitre, deux populations qu’elle a pourtant à cœur de dissocier pour adresser aux derniers le reproche suivant : avoir accepté de se fondre dans la société française10 au prix d’une « trahison11 », déniant ainsi aux Juifs le pouvoir de se définir autrement que par leur religion en toute sincérité. Or, comme il est peu probable que le lecteur réel de Les Blancs, les Juifs et nous soit concomitamment « Juif » et « Blanc » au sens de Bouteldja, cet interlocuteur n’est, de façon affichée, qu’une fiction élaborée à des fins argumentatives. Pourquoi pas ? Faire intervenir dans un texte un lecteur théorique et fictif est un procédé vieux comme la rhétorique. Mais alors, pourquoi les lier en un « vous » englobant si elle estime que les Juifs sont ses « cousins12 » ? N’est-ce pas les lier indéfectiblement aux « Blancs arrogants » ? En employant un seul et même pronom, Bouteldja brouille le départ qu’elle prétend établir entre les deux populations et place définitivement les Juifs du côté des oppresseurs.

De son côté, le pronom personnel « nous »13, revêt la même indétermination. Celle-ci est pour une part affichée dans les titres des chapitres suivants, « Nous, les Femmes indigènes » et « Nous, les Indigènes », puisqu’être née femme et être né homme n’expose pas à la même oppression. Mais un autre aspect de ce brouillage est moins évident : il apparaît dans la généalogie au nom de laquelle l’auteure prétend remonter à l’Amérique pré-colombienne14, faisant fi des différences entre le génocide dont les Indiens d’Amérique ont été victimes et la colonisation de l’Algérie. Ainsi, les « Indigènes » sont pour toujours du côté des « gentils », qu’ils aient été ou non à leur tour à la tête d’empires coloniaux comme la Turquie, qu’ils résident en Europe ou dans le Tiers-Monde. Ce flou référentiel permet de présenter le monde comme scindé en seulement deux pôles étanches mais à peu près homogènes, « Blancs » et « Indigènes », tout comme les croisés décrivaient le monde comme réparti exclusivement entre « Chrétiens » et « Infidèles ».

  1. « C’est lui qui l’a dit ! » Du bon usage des citations

L’emploi de l’expression « vers une politique de l’amour révolutionnaire », sous-titre dudit livre, est, aussi, pour le moins confus : dans une petite introduction15, Bouteldja déclare « emprunter » cette formule à Chela Sandoval, tout en affirmant : « Je ne sais pas quel contenu elle lui donnait mais l’expression m’a plu », jouant cette fois du flou de ses références16, ce qui est tout de même étrange quand cette référence fait titre !

En effet, si les catégories intellectuelles et les pronoms qu’elle emploie font l’objet d’un brouillage sémantique et référentiel, le même reproche peut être adressé à son usage des citations. Nombreuses sont les figures convoquées pour leur autorité intellectuelle sans références précises : c’est le sort qu’elle fait subir à Césaire p. 21, à Malcolm X p. 22, à Gramsci p. 27, Audre Lorde p. 94… Nous ne relèverons pas ici tous les exemples à notre portée, trop nombreux. Notons seulement au passage l’amour de l’auteure pour les arguments d’autorité, quitte à extraire la citation de son contexte, et partant à modifier son sens : la phrase de Gramsci « Le vieux monde se meurt. Le nouveau est long à paraître et c’est dans ce clair-obscur que surgissent les monstres » est en effet indissociable du contexte de l’entre-deux-guerres, fort différent de notre actualité contemporaine. Enfin, nous constatons que l’une des références les plus fréquentes est Sadri Khiari (pas moins de cinq notes pp. 141-142), c’est-à-dire un autre militant du PIR qu’elle présente pourtant dans le corps de son livre à l’égal des autres intellectuels cités. C’est un peu comme si je me mettais sous le patronage de tel de mes camarades de Critique sociale pour confirmer mes dires.

  1. Et la prosopopée dans tout ça 17? Du bon usage des « voix »

Mais les paroles d’autorité sont loin d’être les seules à être entourées d’un flou volontaire. Avec l’usage des pronoms personnels précédemment cités, Bouteldja prête aux un.e.s et aux autres des comportements et des propos invérifiables. Ainsi, écrit-elle :

« Vous nous avez sommés de voter utile. Nous avons obéi. De voter socialiste. Nous avons obéi. Puis de défendre les valeurs républicaines. Nous avons obéi. Et surtout de ne pas faire le jeu du Front national. Nous avons obéi. En d’autres termes, nous nous sommes sacrifiés pour vous sauver, vous18. »

De qui parle-t-elle ? Qui est ce « vous » ? L’ensemble des « Blancs », comme le laisse penser le titre du chapitre dont ces lignes sont extraites ? Les « prolos blancs », comme elle le prétend à la page précédente19 ? En ce cas, j’ignorais que les « sacrifiés de l’Europe des marchés et de l’Etat20 », pour reprendre ses mots, avaient le pouvoir et l’habitude de donner des consignes de vote. Et qui est ce « nous » ? Qui s’est sacrifié ? Les « Indigènes » ont donc voté indistinctement socialiste dès qu’ils ont pu voter ? Là encore, cette bipartition enserre chacun dans un groupe présenté comme homogène, sans aucun égard pour les comportements individuels ou la formation d’autres solidarités (en fonction, par exemple, des classes sociales ou des discriminations de genre). Or, l’essentiel de l’argumentation de ce livre repose précisément sur une litanie de comportements qu’elle prête aux « Blancs » et aux « Indigènes » de façon uniforme, litanie qui finit par essentialiser les un.e.s et les autres. En effet, la citation précédente, par l’épiphore « Nous avons obéi » place une fois pour toutes le « vous » du côté de l’injonction (« sommer »), donc de la puissance, et le « nous » du côté de l’obéissance et de la soumission.

  1. « Le » Blanc et « l’ » Immigré : du bon usage de l’article défini

Cette essentialisation repose également sur l’emploi générique de l’article défini (« le »), c’est-à-dire qui considère l’ensemble de la classe à laquelle appartient le nom qui le suit et non un seul élément de cette classe21 :

« L’immigré allait enfin trouver le saint Graal. Il allait pouvoir revendiquer ses droits. Lorsqu’il a débarqué à Marseille, l’immigré, il s’est retrouvé nez à nez avec elle, la démocratie. Il s’est penché, il est tombé sur les droits de l’homme, il a tourné à droite, il s’est cogné à la liberté. […] Et puis, quand il était élégant, l’immigré, il savait se laisser mourir avant la retraite22. »

Bouteldja reprend à son compte, au bas de la même page, ce commode emploi générique de l’article défini : « L’immigré, c’est le blues de nos chansons qui en parle le mieux. » Une vingtaine de pages plus loin, c’est à nouveau tout un paragraphe qui reprend cette expression pour expliquer ce qui ferait la supériorité de « l’immigré » sur les autres « prolos » :

« Contrairement aux élites de ce pays, bourgeoises, arrogantes et cyniques, l’immigré a l’expérience du prolo blanc. Il le connaît. Il sait comment il a été livré, désarmé, privé de Dieu, du communisme et de tout horizon, au grand capital. […] à celui qui prétend concurrencer Dieu, il répond : Allahou akbar !23 »

Seule l’aptitude à démêler le « Blanc » de l’« Indigène » chez le lecteur permet de distinguer dans ces exemples l’ironique du sérieux. Grâce à ce procédé, Bouteldja crée une connivence facile avec le lecteur qui sait faire cette opération et distingue artificiellement deux emplois de l’article défini générique : un emploi légitime, celui de « l’Indigène », et un autre illégitime, celui du « Blanc ». Ou le retour du « manichéisme »… Et, surtout, elle parachève l’essentialisation des comportements évoquée plus haut (partie V).

Autre élément du brouillage énonciatif : l’auteure fait intervenir à six reprises une « voix » (« la voix »24) pour retranscrire ce qu’elle présente comme le discours de « la bonne conscience blanche ». La prosopopée est donc élément fondamental de son complexe argumentatif en ce qu’elle lui permet d’affirmer tout et son contraire et d’accentuer sa bipartition entre « vous » et « nous ».

  1. « Et Dieu dit. » Du bon usage du lexique religieux

Cette frontière fondamentale qu’elle dresse entre « la bonne conscience blanche » et les « Indigènes » apparaît également dans l’emploi du lexique religieux. Chez ces derniers, non seulement ce lexique est légitimé mais il est présenté comme nécessaire. Ce lexique est abondamment présent dans la préface25, qui s’ouvre sur « Heureux soient […] » et s’achève sur « Qu’ils reposent en paix », en passant par deux occurrences du mot « frère », une du mot « sœur », les mots « fois », « Dieu » et « foi ». A cette préface répond le dernier chapitre en forme de postface au titre éloquent, « Allahou akbar »26, profession de foi sur laquelle se clôt le livre p. 140 et qui était répétée pp. 132 et 133 avec des variations : « une seule entité est autorisée à dominer : Dieu27 » (ibid.) ou « seul le Tout-Puissant est éternel28 ». En effet, nous dit Bouteldja dans ce chapitre, c’est là la mission des « Indigènes » : « réenchanter le monde29 ».

L’importance de cette « mission » est soulignée par la répétition, au sein du livre, des appellatifs « sœurs » (sept fois dans le seul chapitre « Nous, les Femmes indigènes ») et « frères ». On ne saurait donc se tromper sur le destinataire de ce livre.

Ce vocabulaire religieux fait bien entendu l’objet d’une dévalorisation dès qu’il désigne les « Blancs », et ce de deux façons différentes. La première consiste à leur reproche leur athéisme (réel ou supposé). Ainsi, à propos de Descartes (dont on découvre, étonné, qu’il ne croyait pas en Dieu30) : « Il va séculariser les attributs de Dieu31 ». Plus loin : « Du désenchantement du monde et de leur conflit avec l’Eglise dont ils tirent une vérité universelle, les Français ne sont pas peu fiers32 » ou encore les expressions « impiété collective », « athéisme d’Etat » et « Raison blanche »33. La seconde consiste à renouveler l’emploi de l’ironie pour marquer l’illégitimité de tout discours religieux de la part des « Blancs » : «  »Une révolution scientifique : les Américains lancent leur première bombe sur le Japon. » Ce sont des anges qui ont écrit ces lignes.34 ». On aimerait savoir qui a pu proclamer l’angélisme des auteurs de cet article sur la bombe atomique, mais l’auteure ne daigne pas nous éclairer. Plus loin, le lexique religieux est employé comme métaphore ironique à propos de la mémoire de la Shoah : « avoir laissé la commémoration du génocide nazi devenir une  »religion civile européenne » fait craindre le pire […]. Le temps du blasphème est venu.35 » et sur le même sujet : « Ils [les négationnistes « indigènes »] s’en prennent au temple du sacré : la mauvaise conscience blanche36 ».

La différence fondamentale que finit par établir Bouteldja entre « vous » et « nous » est donc ce rapport à la religion : comme « vous » ont « désenchanté » le monde, toute utilisation par leurs soins d’un langage religieux ne pourrait qu’être suspect et, à ce titre, repoussé avec ironie comme une mauvaise métaphore. En revanche, elle est un trait définitoire de « nous ».

« Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens37 » ou quelques mots de conclusion

La précaution oratoire de la page 118 « la blanchité n’est pas une question de génétique » ne peut préserver ce livre de l’accusation de racisme qu’aux yeux, n’en déplaise à son auteure, d’un lecteur extrêmement ancré dans une modernité « désenchantée » au sens des XIXe et XXe siècles38. C’est en effet au XIXe siècle, sous la plume, entre autres, de Gobineau que l’on ne distingue plus les Européens des habitants des autres continents par leur religion mais par une différence de « race » au sens biologique, le terme étant employé à propos des Hommes sur le modèle des animaux. Pour autant, si le terme n’existait pas auparavant, le racisme en tant que doctrine clivant les Hommes en des catégories étanches préexiste bien sûr à ces théories puisque sa définition est tout simplement qu’il distingue dans l’Humanité des groupes qui seraient ontologiquement distincts, quelle que soit la raison de cette distinction. Invoquer une théorie religieuse (les Musulmans contre les athées) n’est donc certainement pas la preuve d’une absence de racisme mais bien plutôt d’un processus intellectuel qui va chercher ses origines idéologiques dans un passé plus lointain, le Moyen Age ou la Renaissance et leurs nombreuses guerres de religion. En un mot, seul un nouveau « Gobineau » peut croire qu’il ne s’agit pas là de « racisme » ! Et il n’est pas sûr que les croisades aient été la preuve d’une société pacifiée, exempte de condescendance « blanche » à l’égard des Musulmans… Alors, non, le PIR n’est pas « avenir » mais bien plutôt passé39 !

Clélie.

1 Ou pas : n’est-ce pas la preuve de l’oppression coloniale qu’elle dénonce ?

2 Cette confusion est revendiquée par la militante PIR elle-même puisque, alors qu’il est l’un des rares mots de son livre à avoir droit à des lettres capitales, elle en dit : « Ce mot, dignité, je ne saurais le définir précisément » (fin de définition), p. 124, éditions La Fabrique, 2016. Cet aveu est tout de même surprenant pour une notion présentée comme essentielle à sa pensée.

3 Introduction p. 13 et p. 118 : « La blanchité n’est pas une question génétique. Elle est le rapport de pouvoir ».

4 P. 19. Ce reproche amène d’ailleurs d’emblée à s’interroger sur la sincérité du terme de « race », chez Bouteldja, comme catégorie sociale puisque, si l’on peut la trahir, c’est bien qu’elle nous définirait de façon ontologique et non comme un choix politique. La porte-parole des « Indigènes », tant en reconnaissant à Genet cette vertu qui aurait fait défaut à Sartre, continue à le classer comme « Blanc ». Qu’est-ce qui pourrait dès lors expliquer ce classement sinon la couleur de peau ?

5 P. 34. Si le manichéisme est un produit du colonialisme, n’est-on pas autorisé à se demander pourquoi une pensée « décoloniale » ne tente-t-elle pas de s’en départir ?

6 Voir des paradoxes dans ces attitudes nous semble relever d’une essentialisation manifeste de ces positions politiques : ainsi, selon Bouteldja, on ne saurait sans paradoxe être conjointement contre l’antisémitisme et contre la colonisation.

7 Pp. 26 et 33-34.

8 Pp. 23, 30 (deux fois), 31 (cinq fois si l’on y associe l’adjectif « innocent »), 34, 38 et 40 en seulement quinze pages, avec un jeu de mots sur « blanchie » p. 25.

9 : « Je n’ai jamais pu dire ‘’nous » en vous incluant. Vous ne le méritez pas. », affirmation dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle est connotée axiologiquement. La suite du paragraphe le corrobore : « Et pourtant, je ne me résous pas vraiment à vous exclure. […] L’exclusion est votre prérogative. » Cette fois, c’est clair, le mal et le racisme sont du côté exclusif des Blancs.

10 « On ne reconnaît pas un Juif parce qu’il se déclare Juif mais à sa soif de vouloir se fondre dans la blanchité », p. 49.

11 « Votre zèle est trahison », p. 50.

12 P. 49.

13 Qui est pourtant le troisième et dernier mot, après « dignité » et « justes », à avoir droit à des capitales, p. 139.

14 « Mon humanité, je l’ai perdue. En 1492 puis en 1830. […] Je n’ai plus qu’une conscience qui réveille mes souvenirs de 1492. », p. 26.

15 P. 13.

16 Cité p. 27.

17 Procédé qui consiste à faire parler un mort, un absent… ou quelqu’un qui n’existe pas.

18 P. 43.

19 Qui seraient donc, en dépit de leur place dans le système capitaliste, irrémédiablement du côté des oppresseurs (?!), il est vrai comme « tampons » entre les capitalistes « blancs » et les « Indigènes ».

20 P. 42.

21 La Grammaire du français de Delphine Denis et Anne Sancier-Château, Livre de Poche, 1994, p. 56, précise : « Dans cet emploi, l’article défini donne de la classe une vision globale et collective » (je souligne).

22 Le paragraphe ainsi construit s’étend sur une pleine page (104).

23 P. 131-132. Là encore, une pleine page.

24 P. 33, 34, 54, 59, 72 et 104.

25 Pp. 9-11.

26 P. 127.

27 On s’étonnera de trouver cette affirmation dans un livre qui se prétend contre l’oppression : n’est-ce pas précisément la définition de toute oppression que d’affirmer qu’il n’y a qu’un maître et d’interdire sa contestation, quelle que soit l’identité (humaine ou transcendante) du maître en question ?

28 P. 132.

29 Expression répétée deux fois p. 133.

30 Alors que le « Malin Génie » est au centre de ses Méditations.

31 P. 30.

32 P. 127.

33 P. 128.

34 P. 31. Je souligne. Le mot « ange » répété six fois à cette page est en effet présenté comme une qualification « blanche » (« Vous êtes des anges parce que vous avez le pouvoir de vous déclarer anges ») que Bouteldja ne reprend pas à son propre compte mais qu’elle cite ici ironiquement ; c’est pourquoi on aimerait savoir qui, précisément, a décidé que les laudateurs de la bombe atomique étaient des anges.

35 P. 59.

36 P. 67.

37 Injonction attribuée à Arnaud Amaury, abbé de Cîteaux, lors du siège de Béziers en 1209.

38 C’est-à-dire qui a remplacé la religion par la médecine.

39 Allusion au slogan du PIR : « Le PIR est avenir ».