L’île de Pâques, longtemps sans présence humaine du fait de son isolement géographique, a été découverte par des polynésiens il y a environ mille ans.
Plusieurs siècles plus tard, les premiers occidentaux mettaient à leur tour le pied sur l’île : une expédition hollandaise trouva l’île le dimanche de Pâques 1722, lui donnant ainsi son nom usuel – les habitants autochtones de l’île, pour leur part, appellent l’île du nom polynésien Rapa Nui (ou Rapanui) ; de ce fait, on les appelle soit « pascuans » d’après le nom de l’île en espagnol (Isla de Pascua), soit « rapanuis »1.
Quelques autres navires d’explorateurs passèrent par l’île au cours du XVIIIe siècle : des espagnols, des britanniques, et des français. Mais après les explorateurs, vinrent les colonisateurs, les religieux, et les marchands. Au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, leurs actions et exactions entraînèrent la désorganisation de la société de l’île de Pâques. Le colonialisme et l’esclavagisme, ainsi que les maladies qu’ils apportèrent, tuèrent au cours des années 1860 au moins 90 % de la population de l’île.
Maintenus sous dictature militaire chilienne et sous occupation commerciale, les rapanuis ne purent pendant des décennies se sortir de cette situation provoquée par des interventions extérieures – motivées principalement par la cupidité. C’est par une lutte qu’ils ont menée au milieu des années 1960 qu’ils ont enfin obtenu le retour de leur liberté.
La civilisation des moaïs
La civilisation de l’île de Pâques est une partie de la civilisation polynésienne. Grands navigateurs, les polynésiens peuplèrent progressivement les îles du Pacifique. Ils arrivèrent sur cette petite terre isolée qu’est l’île de Pâques et s’y installèrent à une date incertaine, il y a environ un millier d’années2. Ils introduisirent de nombreux végétaux, notamment alimentaires comme la canne à sucre et la patate douce, ainsi que quelques espèces animales, et créèrent sur l’île un système développé d’agriculture.
La population était répartie sur l’île en une dizaine de « matas », autrement dit des clans, chacun étant constitué de quelques lignages3 (« familles élargies », ou « gentes »4). Chaque mata ou clan avait à sa disposition une partie du territoire de l’île, chacune étant à peu près égale, et toutes donnant sur la mer5. Les clans établissaient près du rivage des villages composés de quelques maisons communes.
On ignore combien étaient les rapanuis durant ces siècles ; au moins deux ou trois milliers vers les XVe-XVIIIe siècles, voire jusqu’à cinq ou dix milliers selon certains auteurs (des chiffres allant jusqu’à 15 000 voire 20 000 habitants ont été avancés, mais ils paraissent actuellement très peu crédibles).
L’île est principalement connue pour ses statues en pierre volcanique, les moaïs. D’une taille moyenne de 4 mètres, certains moaïs atteignent jusqu’à 10 mètres de hauteur. Ils étaient sculptés dans les flancs du volcan Rano Raraku, puis transportés par chaque clan vers sa zone d’habitation, où ils étaient érigés sur un ahu (autel de pierre). Il est aujourd’hui certain qu’il y avait sur l’île les ressources suffisantes pour transporter les moaïs, même s’il n’y a pas encore de consensus sur la méthode exacte qui était employée. Peut-être les moaïs étaient-ils transportés debout – cette théorie a le mérite de s’accorder avec la tradition orale, qui dit que les moaïs « marchaient » jusqu’aux ahus6. Ces moaïs étaient parfois surmontés d’une « coiffe » de pierre appelée pukao7. Les pukaos étaient sculptés dans une autre carrière, Puna Pau, choisie pour la couleur rouge de sa pierre. Ces « chapeaux » de pierre représenteraient des cheveux noués, ou seraient des coiffes distinctives d’une appartenance sociale, sans qu’il y ait pour le moment de certitude sur ce sujet.
Les rapanuis réalisaient également des sculptures sur bois, de taille plus réduite, ce qui est commun chez les polynésiens. Ils pratiquaient aussi la peinture, qui s’est souvent mal conservée, et dont une partie a été pillée. Egalement, les moaïs étaient parfois peints.
Dans la vie quotidienne des anciens rapanuis, les moaïs et les constructions de pierre sur lesquels ils sont posés (les ahus) forment une frontière entre le village et l’océan. C’est une sorte de « protection » face à la toute puissance du Pacifique. C’est aussi une marque toujours visible de civilisation, une délimitation du territoire qui a été construite par les humains, symboliquement et physiquement rassurante (une borne opposée à un horizon sans limite, voire aussi une source d’ombre). Il s’agit d’un élément architectural important, car les ahus sont parfois vastes et assez élevés. Les visages des moaïs sont tournés vers le village : c’est la protection symbolique des anciens chefs, les moaïs étant très probablement des représentation d’ancêtres, d’anciens chefs du clan. A l’inverse, on peut également dire que les moaïs dominent les villageois, et ils sont également le symbole de la supériorité des classes dirigeantes – ainsi, physiquement, les morts dominent les vivants. Les moaïs ont un double rôle de légitimation : domination du clan sur le territoire (« terre des ancêtres »), et domination des dirigeants actuels, descendants ou « héritiers » des anciens chefs, sur les autres membres du clan.
De nombreuses ressources font l’objet d’une utilisation collective au sein de chaque village : les habitations, les terres cultivées, l’élevage des poules, le ou les bateaux de pêche, etc. Il y a quelques maisons collectives par village, peut-être une maison par lignage, qui ne sont utilisées que pour dormir.
Il semble qu’il règne une certaine égalité entre clans, avec une répartition rationnelle du territoire de l’île en parties à peu près égales. De plus, il y a une utilisation commune à tous les clans de certaines ressources rares voire uniques sur l’île, comme le volcan Rano Raraku (carrière des moaïs), le Puna Pau (carrière des pukaos), et peut-être également les plus vastes grottes de l’île, qui pouvaient servir de protection commune en cas de longue pluie ou de tempête. De même, alors qu’on ne trouve des gisements d’obsidienne que sur les territoires de quelques clans, les outils d’obsidienne étaient pourtant utilisés en quantité importante par tous les clans. Cette civilisation fonctionnait sans monnaie, système qui est resté inconnu jusqu’à son introduction il y a un peu plus d’un siècle.
Evolutions de l’île et de la société rapanuie
Il y a quelques siècles, l’île de Pâques a subi la disparition de ses grands arbres. On évoque comme cause de cette catastrophe écologique le rôle important des périodes de sécheresse qui ont frappé l’île au cours de la première moitié du XVIIe siècle. « Le déclin puis la disparition de la plupart des arbres et arbustes de l’île est sans aucun doute la conséquence de nombreux facteurs dont l’homme n’est qu’une des composantes. […] l’île de Pâques a vraisemblablement été gravement perturbée au cours du XVIe et du XVIIe siècle par d’importantes fluctuations climatiques »8. Le plus grand arbre de l’île était un palmier, jadis largement présent et aujourd’hui totalement disparu : « pourquoi le palmier a-t-il disparu ? Le coup de grâce a pu lui être asséné par les moutons et les chèvres, introduits aux XIXe et XXe siècles, mais l’espèce était évidemment clairsemée auparavant […] il semble vraisemblable que l’introduction du rat polynésien empêcha la régénération du palmier de l’île de Pâques et, à terme, contribua à son extinction. »9 Si le changement environnemental a largement contribué à la déforestation, l’arrivée des humains et des animaux amenés avec eux a également participé à la disparition de certains arbres et d’autres espèces végétales (inversement, les polynésiens ont introduit sur l’île de nombreuses variétés végétales). La tradition de crémation des morts a également été préjudiciable, et fut d’ailleurs abandonnée quand les arbres ont commencé à manquer.
Le déclin des grands arbres a empêché la construction de grandes embarcations pouvant parcourir plusieurs milliers de kilomètres. Des migrations suite à une changement du climat sont très courantes dans l’histoire humaine, mais l’isolement et l’exiguïté de l’île ont joué contre ses habitants en empêchant toute migration.
Le problème pour les rapanuis ne se limitait pas à la quasi-disparition des grands arbres. Il s’agissait d’une modification plus profonde de l’écosystème de l’île, leur problème principal se situant au niveau de la nourriture – problème sur lequel la fin des grands arbres a cependant une influence directe : presque plus de noix de palmiers à consommer, et un problème de construction des bateaux entraînant des conséquences néfastes pour une partie de la pêche10. Les rapanuis procèdent alors à une adaptation de l’agriculture, avec les rares ressources à leur disposition. L’utilisation de pierres leur permet de lutter contre l’érosion, des paillis de pierres retiennent l’humidité, et des murets circulaires sont construits afin de cultiver à l’abri du vent.
Cette époque coïncide avec la fin du culte des moaïs. L’arrêt de leur construction est certainement une décision consciente prise par les rapanuis, suite à un changement de leur organisation sociale. Les moaïs dressés sur les ahus sont renversés volontairement, à l’aide de cordages, chaque clan renversant ses moaïs. Les statues des villages sont toutes abattues face contre terre, et les yeux des statues, siège du « mana » selon la tradition orale – c’est-à-dire siège de leur pouvoir –, sont brisés afin de neutraliser les moaïs.
Plus encore que pour le renversement des moaïs des villages, seul un changement radical de l’organisation de la société peut expliquer l’arrêt du jour au lendemain du travail de construction sur les moaïs en cours d’achèvement. Une vingtaine de pukaos achevés sont également laissés en vrac, avec d’autres en cours d’achèvement. S’il n’y a pas eu d’abandon des moaïs, pourquoi ces pukaos prêts à l’emploi auraient-ils été laissés à l’autre bout de l’île ? Si les moaïs avaient conservé leur rôle mais qu’il y avait seulement une impossibilité de transport due au manque de bois, pourquoi ne pas les avoir tous achevés en les dressant sur place, au pied du volcan Rano Raraku ? L’explication la plus logique est que les moaïs avaient cessé d’avoir un rôle symbolique, en raison d’un changement réel dans les structures sociales. De plus, le fait que les yeux des moaïs aient été brisés montre qu’il n’y a pas eu une simple désaffection, mais bien une volonté de briser les symboles du pouvoir antérieur.
Cependant, certains des moaïs étaient peut-être fait pour rester sur place, le Rano Raraku étant alors en lui-même un lieu sacré pour l’ensemble des rapanuis (cependant aucun des moaïs du Rano Raraku n’a d’oeil ni de pukao). Quoi qu’il en soit, cela ne concernait pas les 400 moaïs – achevés ou non – laissés au Rano Raraku, ce qui représente presque la moitié de l’ensemble des moaïs sculptés. Certains ont été abandonnés en cours de réalisation en raison d’une brisure ou d’un défaut de la pierre, d’autres étaient peut-être destinés à rester là, et enfin tous les autres ont été abandonnés du fait de la fin du culte des moaïs, alors qu’ils étaient soit en cours de sculpture, soit achevés et en attente de transport vers un ahu.
Il y a donc bien eu abandon de la carrière : arrêt de la réalisation de nombreux moaïs en cours de sculpture, arrêt de la finalisation de moaïs déjà extraits de la roche, et arrêt du transport de moaïs achevés vers les ahus.
Il est établi que toutes les statues de l’île n’ont pas été renversées en même temps, ce qui pourrait montrer qu’il ne s’agissait pas d’un « coup de colère » mais bien d’une nécessité : enlever toute légitimité même symbolique à l’ancienne caste dirigeante (dont les membres ont pu vouloir reprendre le pouvoir, par exemple). Les ahus, socles des moaïs, ne sont par contre pas touchés, et sont en quelque sorte « recyclés » pour servir d’ossuaires.
La population s’en prend donc non à l’ensemble de la construction qui se trouve entre leur village et l’océan, mais aux seuls moaïs, qui sans leur renversement auraient continué de dominer le village. De même, il faut remarquer que les sculptures sur bois sont épargnées – il ne s’agit donc pas d’une frénésie destructrice ; mais les moaïs dominent, contrairement aux sculptures sur bois qui sont conservées. C’est parce qu’ils sont la marque de la domination passée et d’un culte abandonné que les moaïs doivent être mis à bas11.
Les rapanuis mettent fin au règne de la classe dominante, qui exigeait des moaïs de plus en plus grands, ainsi qu’aux croyances qui lui servait de justification. Selon l’anthropologue Christopher Stevenson, les travailleurs ont refusé de continuer à entretenir les dirigeants, ce qui est la source des changements12. Peut-être que cette évolution ne fut pas simultanée dans tous les clans, mais elle fut menée à terme du fait de l’espace réduit et de la symbiose englobant l’île ; de plus il est logique qu’il y ait alignement sur le système le plus rationnel et efficace vu la situation. Le changement environnemental entraîne une baisse de la productivité du sol, ce qui aboutit à un accroissement du travail nécessaire pour la nourriture, d’où la solution de libérer le travail qui était employé à faire et transporter les moaïs. Ainsi, « dans la mesure où la classe dominante des sociétés agraires exerce son pouvoir en partie par des moyens religieux (en prétendant que ses prières et ses offrandes permettent de garantir de bonnes récoltes), il est concevable qu’un déficit grave au niveau de la production agricole, dû à un changement climatique par exemple, transcroisse en crise politique et institutionnelle. »13 Cette « révolution » a probablement lieu au début ou au milieu du XVIIIe siècle. Elle est marquée par la fin du règne de la classe dirigeante théocratique14, et par d’importantes modifications dans la culture rapanuie. Cette transformation des structures sociales est l’aboutissement d’un « conflit entre l’élite et la population sans-grade »15.
L’organisation territoriale en clans semble être maintenue telle quelle, « cependant les frontières se mélangeaient et se chevauchaient ; les membres d’un clan s’installaient fréquemment parmi d’autres. »16 La nouvelle organisation sociale se débarrasse de certains anciens dogmes, et crée un nouveau culte unissant l’ensemble de l’île : l’épreuve annuelle de l’homme-oiseau.
A la fin de l’hiver austral, d’importantes cérémonies religieuses en l’honneur du dieu Make-Make se déroulaient dans un village réservé à cet effet, Orongo, situé sur les bords du cratère du Rano Kau. Des maisons spécifiques construites sur ce site étaient uniquement utilisées à cette occasion ; il semble que chaque lignage avait sa maison (une quarantaine au total). Signe peut-être d’une certaine continuité, un seul moaï était présent à Orongo. Il est difficile de se rendre compte précisément de ce qu’il représentait, car ce moaï a été emporté en 1868 et son contexte a été détruit : le moaï, relativement petit (2 mètres et demi), était à l’intérieur d’une maison, ce qui constitue un cas unique ; il était de plus partiellement enterré, tournait le dos à l’entrée et était recouvert de représentations de l’homme-oiseau17. De même, l’homme-oiseau existait sans doute déjà dans le « panthéon » rapanui du temps de la civilisation des moaïs mais il n’avait, par contre, sans doute pas la même importance symbolique.
Le point d’orgue des cérémonies d’Orongo était l’épreuve annuelle de l’homme-oiseau, à laquelle chaque clan envoyait un participant. Il s’agissait de rejoindre à la nage un îlot, d’y attendre qu’un oiseau vienne y pondre le premier oeuf de l’année, puis de le ramener à la nage. Le vainqueur devenait l’homme-oiseau et « dirigeait » l’île pour une année (en fait soit le vainqueur, soit le chef du clan du vainqueur : parfois les participants concourraient pour un autre18). En pratique son rôle était principalement symbolique, il semble qu’il ne faisait que régler des problèmes ponctuels. Il ne retournait pas habiter avec son clan, mais vivait à l’écart dans une maison à Rano Raraku, ce qui le plaçait « au dessus » des clans. La dernière épreuve de l’homme-oiseau s’est déroulée en 1867, en pleine période d’évangélisation, qui a été le coup de grâce dans le contexte d’une société déjà très fragilisée et numériquement réduite.
A la construction des moaïs, les rapanuis substituent également la gravure de bas-reliefs d’hommes-oiseaux, que l’on retrouve sur de très nombreuses pierres de l’île. Il s’agit d’une forme symbolique et artistique différente, utilisant moins de temps de travail. Cette époque de l’histoire des rapanuis ne correspond nullement à une « décadence », mais simplement à un changement intervenu par leur propre volonté, tout en étant une adaptation suite à une modification de leur environnement.
En effet, au cours de cette période les rapanuis procèdent à des adaptations pour répondre aux modifications écologiques. Elles sont efficaces, puisque d’après une observation en 1804 encore « chaque maison est entourée de plantations de bananes et de cannes à sucre. »19 D’autres observations au cours de la première moitié du XIXe siècle décrivent une île largement cultivée avec de « très belles plantations »20, confirmant que les rapanuis des XVIIIe et XIXe siècles ont su développer avec succès une agriculture adaptée à leur environnement difficile.
Une évolution sociale a ainsi créé la « seconde » civilisation rapanuie, qui est restée en place jusqu’aux drames de la fin du XIXe siècle. Cette civilisation inventa une forme originale d’écriture, ce qui confirme que cette période ne constitue pas une phase décadente de l’histoire des rapanuis (nous reviendrons plus loin sur cette écriture, dite « rongo-rongo »)
Premiers contacts avec des européens
Le début du XVIIIe siècle voit l’arrivée des premiers européens. Ce sont des explorateurs qui viennent avec un ou plusieurs voiliers, et ne restent qu’une journée ou quelques jours tout au plus. A chaque fois, des rapanuis viennent à leur rencontre en pirogue ou à la nage (parfois sur plusieurs kilomètres), montent sur les bateaux, dansent et chantent, saluant avec gaieté ces inconnus. Les rapanuis apportent de la nourriture aux arrivants, pour la donner ou l’échanger. Ils examinent avec attention les bateaux, voire les mesurent à l’aide de cordes, intéressés par une technologie inconnue.
La première de ces expéditions est celle du néerlandais Jakob Roggeveen, qui trouve l’île en avril 1722. D’après les divers témoignages de cette expédition, il semble que ce soit encore l’époque de la civilisation des moaïs. Un des membres de l’expédition, Carl Behrens, remarque l’existence de prêtres, mais ne voit pas de chefs21. Il écrit : « Les habitants de cette île ne portent point d’armes, du moins n’en avons-nous vu aucune »22. Le capitaine Cornelis Bouman écrit également : « Les habitants n’avaient absolument aucune arme d’aucune sorte, ils se sont approchés de nous très nombreux avec leurs mains nues pour nous accueillir, sautant de joie. »23 Behrens indique que sur l’île « tout y est cultivé et labouré »24. Roggeveen ajoute : « On peut clairement conclure que tous les indiens se servent de leurs possessions en commun »25.
La deuxième expédition connue est dirigée par l’espagnol Felipe Gonzales y Haedo, en novembre 1770. Il donne à l’île le nom d’« île de San Carlos », en référence au roi d’Espagne de l’époque, mais ce nom ne resta pas. Les rapanuis les accueillent avec joie, leur apportent de la nourriture, et les accompagnent dans l’île. Un officier de la Santa Rosalia note qu’il n’y a chez eux « pas la moindre apparence d’hostilité »26. Les deux navires restent six jours, et de très nombreux rapanuis montent à bord au fil des jours. Les visiteurs remarquent les moaïs, écrivent que les rapanuis « semblent leur vouer une grande vénération »27, et il leur semble distinguer des prêtres. Les espagnols leur montrent des armes (arc, couteau, coutelas), mais les rapanuis n’en comprennent pas l’usage. Il semble « qu’entre eux les biens sont possédés en commun. »28
Les espagnols prennent possession de l’île, et y dressent trois croix chrétiennes. Ils demandent à certains des rapanuis présents de signer un document attestant la souveraineté espagnole : sans comprendre le sens de cette signature, deux d’entre eux tracent quelques signes29, et un troisième dessine une représentation de l’homme-oiseau.
Une expédition dirigée par James Cook visite l’île en mars 1774. Des rapanuis viennent à leur rencontre en pirogue, et leur offrent des fruits. Le contact se passe sans problème, et un rapanui passe même la nuit sur le bateau.
Le lendemain, les européens débarquent sur l’île. Cook écrit : « Nous débarquâmes sur la plage de sable, où étaient rassemblés quelques centaines de naturels qui étaient si impatients de nous voir que beaucoup d’entre eux se mirent à la nage pour venir au-devant de nos chaloupes. Pas un seul d’entre eux n’avait en main la moindre arme, pas même un bâton. […] Le pays semblait aride et dépourvu de bois ; il y avait néanmoins plusieurs plantations de pommes de terre, de bananiers, de cannes à sucre »30. Des échanges ont lieu, et les rapanuis offrent des poulets cuits.
Le scientifique William Wales explore l’île à pied avec un groupe d’une trentaine d’européens. Il remarque l’hospitalité des rapanuis rencontrés à divers endroits de l’île, qui leur distribuent de la nourriture et de l’eau. Il note que de nombreux moaïs sont renversés et brisés par leur chute, et que les rapanuis ne semblent prêter aucune attention à ces statues. Il indique également n’avoir vu « aucune arme d’aucune sorte »31.
Le jeune Georg Forster circule également dans l’île avec une petite expédition. Il écrit à propos des rapanuis : « il y a dans leur caractère une douceur, une compassion, une bonté qui les rendent si dociles et, pour autant que le leur permet leur misérable pays, si généreux, envers les étrangers. »32 Il lui semble remarquer quelques armes ; son père, le naturaliste Johann Reinhold Forster, écrit : « mais ces armes n’étaient que des bâtons munis d’une pointe en lave noire vitrifiée et soigneusement enveloppés dans de petits morceaux de tissus. »33 Georg Forster note qu’il n’y a chez les pascuans pas « le moindre geste d’hostilité »34. Il précise à propos de l’attitude des rapanuis vis-à-vis des moaïs : « nous ne pouvions les tenir pour des idoles. »35
La quatrième visite d’européens sur l’île est celle de l’expédition La Pérouse en avril 1786. Comme toujours, des rapanuis abordent les bateaux : « ils montèrent à bord avec un air riant et une sécurité qui me donnèrent la meilleure opinion de leur caractère. […] ils étaient au milieu de nous, nus et sans aucune arme »36. Lors du premier débarquement, « Quatre ou cinq cent Indiens nous attendaient sur le rivage ; ils étaient sans armes, quelques uns couverts de pièces d’étoffe blanches ou jaunes ; mais le plus grand nombre était nu […] leurs cris et leur physionomie exprimaient la joie ; ils s’avancèrent pour nous donner la main et faciliter notre descente. »37 Après avoir visité l’île, La Pérouse écrit : « je suis persuadé que trois jours de travail suffisent à chaque Indien pour se procurer la subsistance d’une année. Cette facilité de pourvoir aux besoins de la vie m’a fait croire que les productions de la terre étaient en commun ; d’autant que je suis à peu près certain que les maisons sont communes au moins à tout un village ou district. »38 Il ne remarque pas de hiérarchie. Des échanges de nourriture et d’autres objets ont lieu, et les rapanuis procèdent aussi à des larcins, volant des chapeaux et des mouchoirs. Ils mesurent le bateau de La Pérouse : « ils ont examiné nos câbles, nos ancres, notre boussole, notre roue de gouvernail ; et ils sont venus le lendemain avec une ficelle pour en reprendre la mesure, ce qui m’a fait croire qu’ils avaient eu quelques discussions à terre à ce sujet »39.
Il semble à De Langle – le second de La Pérouse – qui a exploré l’île, « que les productions de la terre sont communes à tous les habitants du même district »40. Il note, sans plus de précisions, que certains moaïs sont renversés et d’autres encore « debout, leur plate-forme à moitié ruinée. »41
Au XVIIIe siècle, les visites des européens sont donc rares et brèves, et ne semblent pas avoir d’influence négative sur la société rapanuie, ni provoquer de changements – sauf peut-être, et c’est très important, l’invention de l’écriture.
En effet, comme les autres polynésiens, la civilisation des moaïs ne connaissait pas l’écriture. Il est probable que ce soit après avoir vu une écriture, en 1770, que les rapanuis inventèrent la leur en se basant sur les signes qu’ils utilisaient pour la sculpture sur bois et pour les bas-reliefs : « Le fait que l’écriture pascuane ait pour base de la pictographie déjà existante sur cette île est évident »42. L’écriture rongo-rongo est constituée de hiéroglyphes, et n’a pas encore été déchiffrée, le savoir de cette langue s’étant perdu dans les catastrophes de la fin du XIXe siècle, et la majorité de ses traces ayant été détruites. Il est possible que les tablettes rongo-rongo aient eu un contenu sacré, et certaines d’entre elles au moins paraissent contenir des chants rituels. Au milieu des années 1860, du fait des raids esclavagistes et des pandémies, tous ceux qui savaient lire et écrire le rongo-rongo étaient morts. Peu après, la conversion au christianisme fit son oeuvre : « le frère Eyraud avait fait un autodafé des moai Kavakava [les statuettes en bois] et des tablettes Rongorongo parce qu’ils incarnaient la paganité à éliminer. »43 Mais quelques années plus tard, c’est grâce à l’intérêt de l’évêque de Tahiti pour ces tablettes qu’elles ont commencé à être rassemblées et conservées. Il ne reste aujourd’hui dans le monde que 24 objets comportant des inscriptions rongo-rongo44, et aucun sur l’île de Pâques.
Il semblerait d’après les observations de 1770 d’une part, et de 1774 d’autre part, que la fin de la civilisation des moaïs se soit produite pendant cet intervalle ; mais ces témoignages sont à prendre avec précaution, les espagnols n’ayant vu qu’une petite partie de l’île. Malgré la faiblesse des données, situer ce bouleversement social entre 1770 et 1774 est une possibilité sérieuse45. Quoi qu’il en soit, ce changement a en tout cas commencé avant 1774.
Le temps des catastrophes
L’île de Pâques, ses habitants et sa culture, ont été violemment malmenés au cours des XIXe et XXe siècles. Au XIXe siècle, « il n’y avait rien sur l’île que l’on pût voler ou vendre, sauf le corps de ses habitants. »46 L’année 1805 voit la première offensive esclavagiste contre l’île de Pâques : des chasseurs de phoques états-uniens abordent l’île, tirent sur ses habitants, et enlèvent 22 rapanuis pour leur servir de main d’oeuvre gratuite. De telles exactions vont se poursuivre pendant plus d’un demi-siècle. Les bateaux de chasseurs de baleines et de chasseurs de phoques font des raids sur l’île ; ceux qui ont besoin d’esclaves se « servent » sur place, d’autres capturent des femmes qui sont violées puis jetées à la mer.
Les rapanuis deviennent logiquement beaucoup plus méfiants après ces exactions, et n’hésitent pas à repousser des visiteurs pour les empêcher de sévir, souvent avec succès. Mais, pour se protéger collectivement si les intentions des visiteurs étaient préjudiciables (ce qui était souvent le cas), tout en pouvant obtenir des objets améliorant leur situation, lors de l’arrivée de bateaux des rapanuis allaient à leur rencontre (soit en pirogue soit en nageant), et les abordaient chargés d’objets ou de nourriture à échanger avec les équipages. En effet, certains des bateaux à cette période passent sur l’île uniquement pour se ravitailler en nourriture, qu’ils échangent avec les rapanuis contre quelques objets. Pour éviter de nouveaux drames, les rapanuis jettent parfois des pierres contre les chaloupes qui veulent aborder l’île, préférant des échanges hors de l’île afin d’éviter des rafles esclavagistes. Certains visiteurs réussissent cependant à accoster, mais restent peu de temps et ne parcourent pas l’île. Entre plusieurs centaines et plus d’un millier d’objets ont été emportés de l’île par les visiteurs entre 1722 et 186247. Ils étaient soit échangés contre des objets apportés par les visiteurs, soit donnés par les rapanuis, soit pris par la force.
La pire des catastrophes qu’ait connue l’île de Pâques s’est déroulée en 1862-1863. Des esclavagistes mènent plusieurs raids sur l’île, tirent sur les rapanuis, viennent dans le sang à bout de leur résistance, et capturent des centaines d’entre eux. Cette mise en esclavage massive a été un drame irréparable pour les habitants, ainsi que pour la culture et la mémoire de l’île : « environ 2000 insulaires ont été emportés au Pérou comme esclaves »48, auxquels s’ajoutent ceux qui furent tués sur l’île pendant les raids.
Suite à la dénonciation internationale de ces crimes, les rares survivants purent rentrer. Parqués dans la soute d’un navire, seuls une poignée de rapanuis malades survécurent jusqu’au retour sur leur île, et entraînèrent bien malgré eux une épidémie tragique.
A partir de l’exaction des esclavagistes de 1862-1863, la société est désorganisée, disloquée. Les rapanuis ne sont plus alors que quelques centaines, ce qui était encore le cas dans la première moitié du XXe siècle (le minimum fut atteint dans les années 1870 avec 110 rapanuis sur l’île après le départ – ou la déportation – de certains d’entre eux vers Tahiti et les îles Gambier). C’est une époque de misère – ce qui d’ailleurs montre bien que le problème n’était pas le rapport entre le nombre d’habitants et la surface de l’île ou ses ressources (puisque la population était alors dix fois inférieure à ce qu’elle était lors de l’apogée pascuane), mais bien l’organisation sociale, alors brisée49. C’est une société traumatisée, même si elle conserve toujours une capacité d’adaptation.
Pierre Loti, visitant l’île en 1872, écrit que « ce sont les civilisés qui ont montré, vis-à-vis des sauvages, une sauvagerie ignoble. »50 Selon Alfred Métraux, l’île a été au milieu du XIXe siècle « le théâtre d’un des attentats les plus affreux que les blancs commirent dans les Mers du Sud. »51
L’île de Pâques fut annexée par le Chili en 1888. Par la suite, pendant plusieurs décennies l’île fut confisquée par des marchands de bétail et de laine de mouton. C’est cette utilisation productiviste de l’île qui a fait disparaître l’arbre toromiro52 au XXe siècle ; cette exploitation d’un bétail très nombreux « est à l’origine de l’extinction de nombreuses espèces végétales. »53
Avant l’intervention des européens, la population était repartie tout autour de l’île. A la fin du XIXe siècle les rares survivants ont été regroupés de force en un seul lieu, Hanga Roa. Aujourd’hui encore il s’agit de la seule ville de l’île, même si l’on rencontre désormais quelques habitations à d’autres endroits de l’île. Cette concentration de la population est une conséquence historique de la destruction de la civilisation vivante, puis de l’interdiction pendant des décennies de vivre en dehors de l’unique ville, le reste de l’île étant réservé aux moutons (c’est-à-dire : étant réservé à la fabrication de profit pour les marchands de moutons). Les rapanuis survivants ont ainsi été chassés de leurs villages et des terres qu’ils cultivaient54.
Dans les années 1890, l’île est louée à des industriels. A partir de 1903, la Williamson, Balfour and Company, entreprise de Grande-Bretagne, crée la Compañía Explotadora de la Isla de Pascua (CEDIP). Moyennant un loyer versé au gouvernement chilien, cette entreprise contrôle l’île, qui est ainsi pratiquement privatisée. L’île n’est utilisée pendant des décennies que pour servir à l’élevage de dizaines de milliers de moutons. Les rapanuis sont mis au travail forcé, puisqu’ils représentent une main d’oeuvre déjà présente sur place, et exploitée sans vergogne.
L’ensemble de ces interventions néfastes subies par les rapanuis sont loin d’être des faits isolés à la même période : selon Rosa Luxemburg, le commerce mondial et les conquêtes coloniales « ont pris leur plus grand essor surtout au XIXe siècle […] Ils mettent les pays industriels capitalistes d’Europe en contact avec toutes sortes de formes de société dans d’autres parties du monde, avec des formes d’économie et de civilisation plus anciennes […] Le commerce auquel ces économies sont entraînées les décompose et les désagrège rapidement. La fondation de compagnies commerciales coloniales en terre étrangère fait passer le sol, base la plus importante de la production, ainsi que les troupeaux de bétail quand il en existe, dans les mains des Etats européens ou des compagnies commerciales. Cela détruit partout les rapports sociaux naturels et le mode d’économie indigène, des peuples entiers sont pour une part exterminés, et pour le reste prolétarisés et placés, sous une forme ou sous l’autre, comme esclaves ou comme travailleurs salariés, sous les ordres du capital industriel et commercial. »55 C’est cela qui a été subi par l’île de Pâques et ses habitants.
Alfred Métraux, arrivé sur l’île en 1934, note que l’île « appartenait » à la compagnie Williamson-Balfour56 ; l’administrateur anglais de l’île lui déclare d’ailleurs directement : « L’Ile de Pâques appartient au Chili, mais est en fait la propriété privée de la Compagnie Williamson et Balfour »57. Les rapanuis sont parqués à Hanga Roa, cette zone réduite étant même entourée d’un mur et de fils de fer barbelés (les colons vivant, eux, à l’extérieur de cette zone de privation). Les rapanuis sont traités « comme du bétail humain »58, prisonniers derrière cette muraille qui leur interdit l’accès aux neuf dixièmes de leur île.
Le Chili a connu plusieurs périodes tragiques de dictature militaire, et l’île de Pâques en a connu encore plus. L’île a servi comme lieu de relégation d’opposants pendant les dictatures militaires des années 1920 et 1930 : furent par exemple exilés de force les socialistes Carlos Charlin, Marmaduque Grove et Eugenio Matte, ou encore Carlos Vicuña Fuentes.
Les révoltes des rapanuis
Face à la façon inique dont ils sont traités, les rapanuis réagissent : « Le colonialisme patronal a connu de forts mouvements de résistance rapanui, qui ont été écrasés par les troupes que l’armée envoyait régulièrement sur l’île. »59 En juin 1914, un soulèvement débute : les rapanuis remettent une lettre à l’administrateur de l’île, réclamant leurs droits sur les terres et les animaux. Ils se réapproprient du bétail, qu’ils consomment en de grands repas collectifs. Les rapanuis offrent également une partie de cette nourriture à l’expédition anglaise alors présente sur l’île, menée par Katherine Routledge.
Mais le bateau annuel de l’armée de mer arrive le 4 août 1914 sur l’île. Quatre meneurs de la révolte sont arrêtés et emprisonnés ; l’un d’eux est envoyé sur le continent, où il meurt en prison60. Cette répression sonne la fin de la révolte.
Les rapanuis restent donc « enfermés, prisonniers sur leur propre terre. »61 Néanmoins, « des grèves motivées par des revendications salariales ont eu lieu tout au long du siècle. »62 Les contestataires étaient parfois arbitrairement déclarés « lépreux »63 – maladie arrivée sur l’île à la fin du XIXe siècle. Ces gêneurs étaient placés dans la léproserie, donc mis à l’écart. Cette mesure avait une fonction de répression, ainsi que de dissuasion sur les autres rapanuis souhaitant agir pour améliorer leur sort.
C’est aussi l’époque des premières recherches approfondies sur l’île, et d’autre part du redressement de certains moaïs sur des ahus. Le premier redressement d’un moaï date des années 1930, et la première restauration complète d’un ahu avec redressement de tous ses moaïs date de 1960. Mais ces « restaurations » n’ont pas toujours été menées avec la plus grande rigueur, les moaïs n’étant pas forcément sur leur ahu d’origine. A la même période, sur ordre d’un militaire des chiffres ont été peints un peu partout sur les statues, marquages qui aujourd’hui encore défigurent de nombreux trésors archéologiques64.
A partir des années 1940, certains rapanuis partent sur de petites embarcations, souvent construites clandestinement. Il s’agit de véritables évasions pour rejoindre Tahiti : ils partent à cause de la misère, « exploités pour une paye dérisoire, tyrannisés, battus pour des pécadilles, enfermés »65, et pour faire connaître leur situation à l’extérieur, afin qu’un changement intervienne. Huit expéditions quittent l’île de 1944 à 1958 : la moitié font naufrage, mais trois d’entre elles réussissent l’exploit nautique d’arriver jusqu’à des îles polynésiennes situées à des milliers de kilomètres, sur des embarcations de fortune66. Cependant, ces expéditions très dangereuses sont globalement un échec, puisque aucune amélioration de la situation des rapanuis n’en résulte.
En 1953, la dictature marchande est remplacée par la dictature militaire exercée par la marine chilienne. Les pleins pouvoirs sur l’île passent à un gouverneur militaire. L’île reste très isolée, seul un bateau par an est envoyé par le Chili pour le ravitaillement, et surtout pour emporter la laine de mouton. Quelques rapanuis obtiennent l’autorisation exceptionnelle de quitter provisoirement l’île pour aller étudier au Chili.
Au début des années 1960, il y a sur l’île « 1000 survivants Pascuans vivant dans la plus incroyable misère et le manque de liberté »67. Ils ne sont en pratique pas reconnus comme des citoyens, et vivent sous la main de fer de l’armée : « les châtiments arbitraires et moyenâgeux perdurent sur l’île »68. Les hommes de 18 à 45 ans sont obligés de travailler gratuitement un jour par semaine69.
Les rapanuis vont déclencher une révolte décisive lors des années 1964-1965. Début décembre 1964, des rapanuis écrivent une lettre ouverte au nouveau président chilien, avec un fort contenu social et politique. Les revendications comprennent la fin de la dictature militaire sur l’île, la liberté de circulation dans l’île et en dehors, l’augmentation des salaires, la fin de la journée de travail non-payé, l’obtention des droits de citoyens pour les rapanuis (dont le droit de vote aux élections chiliennes), le droit de se rassembler – autrement dit la liberté de réunion, l’abolition du couvre-feu, un développement économique de l’île, etc70.
Le 18 décembre 1964, les rapanuis élisent par un scrutin populaire auto-organisé un maire pour l’île, le jeune rapanui Alfonso Rapu (22 ans). Le gouverneur chilien refuse de reconnaître cette élection « sauvage » puis menace Rapu, qui doit se dissimuler dans les grottes de l’île pour échapper à l’arrestation. Une grève générale est déclenchée pour défendre les revendications de la lettre ouverte. Le docteur chilien de l’île, qui avait pris parti pour les rapanuis, est arrêté sur le bateau qui le ramène sur le continent. L’Etat chilien réplique par l’envoi d’un navire de guerre pour « étouffer la rébellion »71. Les militaires cherchent à découvrir qui sont les auteurs de la lettre ouverte, et comment ils ont réussi à la faire parvenir à la presse chilienne. Le 8 janvier 1965, Rapu sort de son maquis pour venir négocier. La répression prévue par les militaires, qui avaient le projet de tuer Rapu72, est empêchée grâce aux femmes rapanuies qui entourent Rapu pour le protéger et permettent sa fuite jusqu’au campement de la mission scientifique canadienne qui était alors sur l’île. La présence de cette mission scientifique a été déterminante, d’autant plus qu’elle était accompagnée de journalistes, ce qui aurait fait beaucoup de témoins gênants d’une répression féroce – voire d’un assassinat du leader du mouvement. Les chiliens organisent alors une nouvelle élection du maire afin d’annuler la précédente, mais Alfonso Rapu est de nouveau très largement élu. Ce vote marque un soutien massif aux revendications dont Rapu était devenu le porte-parole.
La lutte des rapanuis porta ses fruits. Ils avaient brisé le mur, à tous les sens du terme : le mur entourant Hanga Roa fut détruit, et l’île passa du régime militaire à un régime civil.
Ainsi, la deuxième moitié du XXe siècle marque enfin pour les rapanuis le retour de la liberté, et la possibilité d’une ouverture au monde. Ils deviennent réellement des citoyens chiliens en 1966, puis de 1970 à 1973 c’est le gouvernement de l’Unidad popular dirigé par Salvador Allende. Avec la généralisation des services publics, ces années voient l’introduction pour les rapanuis de l’eau courante puis de l’électricité. La création et le développement d’une piste d’avion dans les années 1960-1970 désenclave l’île, et entraîne le début du tourisme : les premiers vols commerciaux datent de la fin des années 1960, et ils deviennent bi-hebdomadaires vers Tahiti et Santiago à partir de 1971. C’est à cette époque que Pierre Kast peut tourner sur l’île le film « Les soleils de l’île de Pâques ».
Malheureusement, d’autres dispositions progressistes prévues par le gouvernement Allende n’eurent pas le temps d’être appliquées : elles furent annulées suite au coup d’Etat militaire du 11 septembre 1973 qui instaura la dictature dirigée par Augusto Pinochet. La dictature mit également fin aux coopératives créées par les rapanuis73.
Des protestations des rapanuis se sont poursuivies, notamment en 1988 à l’occasion du centenaire de l’annexion de l’île par le Chili.
A partir du retour de la démocratie au Chili en 1990 la situation des rapanuis s’est améliorée, en particulier au travers de la loi du 27 septembre 1993 sur la protection et le développement des peuples indigènes du Chili.
Lors du recensement chilien de 2002, 4647 personnes se sont déclarées « rapanui ». 56,7 % vivaient dans la région de Valparaíso (qui comprend l’île de Pâques), 26,1 % vivant dans la région de Santiago, et 17,2 % dans les autres régions du Chili. Ces chiffres ne semblent pas tenir compte des rapanuis vivant hors du Chili (Polynésie française, Nouvelle-Zélande, continent américain, etc.). Sur les 2637 rapanuis vivant dans la région de Valparaíso, 2269 vivaient sur l’île de Pâques. La population de l’île était également composée de 1500 autres habitants (chiliens et autres nationalités), soit un total de 3800 habitants sur l’île en 2002 – chiffre qui est aujourd’hui dépassé (8 ans après ce recensement, on parle de 4000 à 5000 habitants sur l’île)74.
Le tourisme a connu un fort développement récent : on est passé de 4 961 touristes en 199075 à plus de 65 000 moins de vingt ans plus tard76, soit près de quinze fois plus.
Des mobilisations se poursuivent, des grèves et manifestations ont été menées pour une restitution de certaines terres cultivables aux familles rapanuies. Sur un autre sujet, le 16 août 1995 ce sont 500 manifestants qui ont protesté sur l’île contre la reprise des essais nucléaires français à Mururoa.
En 2005, le taux de chômage sur l’île était de 18 %77, soit deux fois plus que la moyenne sur l’ensemble du Chili cette année-là. De plus, « l’écart entre les riches et les pauvres s’accroît sur l’île. »78 Les ressources économiques actuelles sont trop exclusivement dépendantes du seul tourisme ; l’agriculture ne paraît pas avoir retrouvé son ampleur d’avant les années 1860. Parfaitement conscients du problème, des rapanuis se sont mobilisés en 2009 contre le productivisme touristique79.
Conclusion
Il n’y a pas encore de consensus ou de certitudes sur de nombreux points de l’histoire des rapanuis et de leur île. Cela mène à la modestie concernant des interprétations provisoires, dont il faut espérer qu’elles seront confirmées ou infirmées par de futures études.
Nous proposons une périodisation de l’histoire de l’île (en adoptant le Xe siècle comme date « moyenne » de l’arrivée des polynésiens) : la société rapanuie proprement dite du Xe siècle jusqu’à la moitié du XIXe, puis une société « occidentalisée » depuis la fin du XIXe siècle. L’histoire de la société rapanuie traditionnelle peut elle-même se diviser en trois périodes :
– Du Xe au XIIIe siècle, une société polynésienne classique (pour autant que l’on puisse le supposer). Cette époque est marquée par l’installation du groupe des découvreurs, puis par une très forte croissance de la population, au moins multipliée par dix. Conséquence de cette extension, des lignages devenus trop importants deviennent des clans autonomes, et peuplent progressivement le rivage tout autour de l’île. Une culture spécifique se développe.
– Du XIVe au début du XVIIIe siècle (voire jusqu’à la seconde moitié du XVIIIe siècle), c’est la civilisation des moaïs – les premiers ont peut-être été sculptés avant cette période, mais c’est « l’âge d’or » des moaïs. La répartition territoriale en une dizaine de clans est établie.
– Du XVIIIe jusqu’au milieu du XIXe siècle, c’est la civilisation de l’homme-oiseau. Cette civilisation a été interrompue violemment, alors qu’elle n’était apparue que depuis un siècle ou un siècle et demi tout au plus. Entre 1862 et 1867 c’est la fin de cette société, puis jusqu’à la fin du siècle c’est la société rapanuie elle-même qui est désagrégée. La langue parlée survit, ainsi qu’une centaine d’individus. Après plusieurs grèves et révoltes, c’est finalement en 1965 que les rapanuis réussirent à briser cette chape de plomb qui était tombée sur eux un siècle auparavant, avec les raids esclavagistes de 1862-1863.
La construction des moaïs et des ahus n’a rien de mystérieuse. Elle découle logiquement d’une conjonction de facteurs : la culture polynésienne qui comprenait la réalisation de statues anthropomorphes, la géographie de l’île et la présence de pierre volcanique favorable à la sculpture de grandes statues, l’emplacement des villages et le désir de délimitation face à l’immensité de l’océan, le type de production et d’organisation sociale.
Pendant très longtemps, il y a eu un mépris des occidentaux vis-à-vis des rapanuis et de leur culture. Or, outre les vestiges archéologiques qui montrent l’inventivité que possédait cette culture, il faut souligner l’importance des révoltes des rapanuis dans l’histoire de l’île. Il était, par contre, matériellement irréalisable pour eux de lutter avec succès contre les esclavagistes de la seconde moitié du XIXe siècle, leurs agresseurs disposant et faisant usage d’un armement moderne contre lequel il était impossible de se défendre.
Bien que les rapanuis ne soient pas des indiens d’Amérique mais des polynésiens, leur relative proximité avec l’Amérique du sud a fait d’eux des victimes de l’impérialisme européen sur les Amériques, et a fait de leurs malheurs un des épisodes de la destruction des civilisations précolombiennes par les colons européens. Le territoire qui était géré collectivement, et qui est aujourd’hui patrimoine mondial de l’humanité80, fut usurpé par la privatisation puis par l’étatisation sous régime dictatorial.
L’île a actuellement une densité inférieure à un département rural français comme le Gers. Sa plus haute densité a peut-être été légèrement supérieure ; quoi qu’il en soit, l’île n’a certainement jamais connu de situation de surpopulation. Les rapanuis ne peuvent pas être accusés d’inconscience vis-à-vis de leur environnement. Ils vivaient dans un espace limité et peu favorable : « la faune et la flore d’origine sont pauvres »81. L’île était – et est toujours – un écosystème fragile. Selon Catherine et Michel Orliac, « la biodiversité y a […] toujours été faible », et « la disparition des arbres n’est pas imputable à l’homme »82.
Lors de la principale catastrophe de leur histoire, en 1862-1863, les rapanuis ont été « victimes d’enjeux économiques »83. C’est le mode de production qui domine actuellement sur toute la planète, basé sur la production pour les profits et non pour les besoins, et reposant sur l’exploitation d’un travail contraint, qui a atteint l’île de Pâques au XIXe siècle, entraînant directement ou indirectement la mort de la majorité des rapanuis et l’agonie de leur culture. Récemment, ce même mode de production a entraîné des disettes et des famines. Cette crise du capitalisme qui sévit depuis bientôt 3 ans montre avec acuité les souffrances humaines provoquées aujourd’hui encore par ce mode de production, qui continue de n’exister que par l’exploitation de la nature et des êtres humains.
L’avenir apportera certainement des précisions et de nouveaux éléments sur l’histoire des rapanuis. Mais, tout aussi certainement, des lacunes persisteront dans la connaissance de cette histoire d’une civilisation détruite, qui fait partie de la grande histoire de l’humanité.
Bibliographie sélective
Il existe de très nombreux ouvrages et articles sur l’île de Pâques, mais cette abondance est trompeuse84. A l’inverse, il y a un manque de traductions de certains textes importants. L’historiographie de l’île de Pâques nous semble donc marquée à la fois par un nombre très important de textes, allant de monographies sérieuses à des publications fantaisistes (certains ouvrages sérieux comportent encore des éléments fantaisistes85), par des lacunes dans la connaissance de certains faits, et pour le moment par le manque d’une synthèse historique rigoureuse et complète.
– Rapa Nui Journal, revue publiée par la Easter Island Foundation depuis 1988 (prenant la suite des Rapa Nui Notes), désormais semestrielle (ISSN : 1040-1385).
– The Voyage of captain Don Felipe Gonzalez to Easter Island, 1770-1, Kraus Reprint, 1991.
– Cercle d’études sur l’île de Pâques et la Polynésie, Les Mystères résolus de l’île de Pâques, Step, 1993.
– James Cook, The Journals of captain James Cook on his voyages of discovery, II : The Voyage of the Resolution and Adventure, tome II, Kraus Reprint, 1988.
– Georg Forster, Voyage autour du monde : Antarctique, île de Pâques, îles Marquises, Société des Ecrivains, 2004.
– Alejandra Grifferos, « El paraíso perdido : un movimiento anticolonialista en Rapanui (Isla de Pascua 1964) », Revista Werkén n° 3, 2002.
– Sonia Haoa Cardinali et Christopher Stevenson, Prehistoric Rapa Nui : landscape and settlement archaeology at Hanga Ho´onu, Easter Island Foundation, 2008.
– Alberto Hotus, « Histórica violación de derechos humanos del pueblo Rapa Nui », Revista Española del Pacífico n° 8, 1998.
– Terry Hunt et Carl Lipo, « Late colonization of Easter Island », Science volume 311 n° 5767, 17 mars 2006.
– Rosalind Hunter-Anderson, « Human vs Climatic impacts at Rapa Nui : did the people really cut down all those trees ? », dans : Christopher Stevenson, Georgia Lee, Frank Morin (dir.), Easter Island in Pacific context, Easter Island Foundation, 1998.
– Jean-François de Lapérouse, Voyage autour du monde sur l’Astrolabe et la Boussole (1785-1788), La Découverte, 2008.
– Urey Lisiansky, « L’île de Pâques d’après la relation de Lisiansky », Bulletin de la Société des Études Océaniennes n° 62 (tome VI n° 1), mars 1938.
– Pierre Loti, L’Ile de Pâques, journal d’un aspirant de La Flore, Pirot, 2006.
– Grant McCall, Rapanui, tradition and survival on Easter Island, University of Hawaii Press, 1994.
– Alfred Métraux, L’Ile de Pâques, Gallimard, 1980.
– Catherine Orliac, « Des arbres à l’île de Pâques entre le XIVe et le XVIIe siècle de notre ère », L’Archéologue n° 51, décembre 2000-janvier 2001.
– Catherine et Michel Orliac, Trésors de l’Île de Pâques, Editions D et Louise Leiris, 2008.
– Catherine et Michel Orliac, « La flore disparue de l’île de Pâques », Les Nouvelles de l’archéologie n° 102, 4e trimestre 2005.
– Marie-Françoise Peteuil, Les Evadés de l’île de Pâques : loin du Chili, vers Tahiti (1944-1958), L’Harmattan, 2004.
– José Miguel Ramirez, Easter Island, Rapa Nui, a land of rocky dreams, Carlos Huber, 2000.
– José Miguel Ramirez, « Cronología y fuentes de la historia Rapanui : 1722-1966 », Archivum volume 6 n° 7, 2006.
– Helen Reid, A World away, a Canadian adventure on Easter Island, Ryerson Press, 1965.
– Katherine Routledge, The Mystery of Easter Island, Adventures Unlimited Press, 1998.
1 Nous avons choisi d’utiliser ces mots spécifiques à l’île de Pâques (rapanui, moaï, ahu, pukao, mata…) comme des noms communs français : pas d’italique, pas de majuscule, et un « s » au pluriel.
2 Il n’y a pas actuellement de consensus scientifique concernant l’époque de l’arrivée des premiers humains sur l’île : entre 800 et 1000 selon Catherine et Michel Orliac (L’Ile de Pâques, des dieux regardent les étoiles, Gallimard, 2004, p. 30), vers 1200 selon Terry Hunt (« Rethinking the Fall of Easter Island », American Scientist volume 94 n° 5, septembre-octobre 2006), entre 800 et 1100 selon Nicolas Cauwe (« Ile de Pâques, vers une nouvelle histoire », Archéologia n° 454, avril 2008, p. 37), pour ne citer que quelques estimations parmi les plus récentes et les plus crédibles. Globalement, les estimations les plus larges oscillent entre le IVe et le XVe siècle de notre ère.
3 Sur les lignages, voir par exemple : Maurice Godelier, Métamorphoses de la parenté, Fayard, 2004, pp. 601-602, et Robert Deliège, Anthropologie de la parenté, Armand Colin, 1996, p. 10.
4 D‘après la « gens » romaine, terme utilisé par l’anthropologue Lewis Morgan et repris par Friedrich Engels dans L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat.
5 Voir une carte du territoire des 11 clans du XVIe siècle dans : Sonia Haoa Cardinali et Christopher Stevenson, Prehistoric Rapa Nui : landscape and settlement archaeology at Hanga Ho´onu, Easter Island Foundation, 2008, p. 10.
6 Sur les différentes théories concernant le transport des statues, voir « Rocking or rolling : How were the statues moved ? », chapitre 7 de : Paul Bahn et John Flenley, The Enigmas of Easter Island, Oxford University Press, 2003 (pp. 121 à 133). A propos des chemins empruntés pour le transport des moaïs, voir : Terry Hunt et Carl Lipo, « Mapping prehistoric statue roads on Easter Island », Antiquity volume 79 n° 303, 2005. Certains moaïs se brisaient pendant leur transport (cette pierre volcanique étant assez fragile), et plusieurs sont aujourd’hui encore abandonnés le long de ces chemins. Cependant, certains moaïs étaient peut-être destinés à être érigés là.
7 Ces pukaos peuvent être rapprochés des coiffes en bois que l’on observe sur des statues mapuches ; voir par exemple les statues « chemamülls » exposées au musée d’art précolombien de Santiago du Chili.
8Catherine Orliac, « Le toromiro, l’arbre des dieux », dans : Cercle d’études sur l’île de Pâques et la Polynésie, Les Mystères résolus de l’île de Pâques, Step, 1993, p. 391.
9John Flenley, « La paléoécologie de l’île de Pâques et son désastre écologique », dans : Les Mystères résolus de l’île de Pâques, op. cit., pp. 344-345.
10 Il semble cependant que la pêche au thon, tradition ancienne sur l’île comme le montrent des pétroglyphes, n’ait jamais vraiment cessé. De nos jours, des rapanuis la pratiquent encore sur de petites barques à moteur, sans qu’il leur soit nécessaire de s’aventurer en haute mer.
11 On peut faire un parallèle avec la mise à bas de la colonne Vendôme par la Commune de Paris en 1871.
12 Intervention de Christopher Stevenson dans « La mémoire perdue de l’île de Pâques », documentaire de Thierry Ragobert, 2001.
13 Daniel Tanuro, « Catastrophes écologiques d’hier et d’aujourd’hui : la fausse métaphore de l’île de Pâques », europe-solidaire.org, 2007.
14 Cette classe dominante aurait pu correspondre aux « longues oreilles » dont parle la tradition orale, des hommes qui étiraient leurs oreilles comme signe de supériorité sociale. Cette caractéristique physique est clairement présente sur de nombreux moaïs, et a encore été observée sur certains rapanuis au XIXe siècle. Mais il semble en fait que cette opposition passée entre « longues oreilles » et « courtes oreilles » ne soit qu’un mythe tardif – c’est ce qu’indique Alfred Métraux (L’Ile de Pâques, Gallimard, 1980, pp. 62-63) – et qu’à une époque tous les rapanuis étiraient leurs oreilles. Cependant cette légende est encore très souvent citée.
15 Sonia Haoa Cardinali et Christopher Stevenson, Prehistoric Rapa Nui…, op. cit., p. 176 (traduit par nous).
16 Katherine Routledge, The Mystery of Easter Island, Adventures Unlimited Press, 1998, p. 221 (traduit par nous).
17 Ce moaï est depuis exposé à Londres, au British Museum. Peut-être était-il érigé sur un ahu près d’Orongo avant que n’existe la cérémonie de l’homme-oiseau, et qu’il a alors été réutilisé dans ce nouveau contexte.
18 Cette possibilité d’envoyer un autre concourir à sa place est probablement « une adjonction tardive » (Alan Drake, Easter Island, the ceremonial center of Orongo, Easter Island Foundation, 1992, p. 30 – traduit par nous).
19 Urey Lisiansky, « L’île de Pâques d’après la relation de Lisiansky », Bulletin de la Société des Études Océaniennes n° 62 (tome VI n° 1), mars 1938, p. 25.
20 Rhys Richards, Easter island 1793 to 1861 : observations by early visitors before the slave raids, Easter Island Foundation, 2008, p. 23 (traduit par nous).
21 Carl Friedrich Behrens, Histoire de l’expédition de trois vaisseaux envoyés par la Compagnie des Indes orientales des Provinces-Unies aux terres australes, La Haye, 1739, tome I, pp. 135 et 137. Il est probable que ces prêtres étaient justement les chefs des clans à cette époque.
23 « The Complete Journal of Captain Cornelis Bouman… », Rapa Nui Journal volume 8 n° 4, décembre 1994, p. 99 (traduit par nous).
25 « Extract from the official log of Mr Jacob Roggeveen, relating to his discovery of Easter Island », dans The Voyage of captain Don Felipe Gonzalez to Easter Island, 1770-1, Kraus Reprint, 1991, p. 19 (traduit par nous).
26 The Voyage of captain Don Felipe Gonzalez to Easter Island, 1770-1, op. cit., p. 93 (traduit par nous).
29 Ces signes ne semblent pas être de l’écriture rongo-rongo, en tout cas par rapport aux rares tablettes conservées. Voir ces « signatures » dans The Voyage of captain Don Felipe Gonzalez…, op. cit., entre les pages 48 et 49, ainsi que dans Steven Fischer, Rongorongo, the Easter Island script : history, traditions, texts, Clarendon Press, 1997, p. 5.
31 Dans The Journals of captain James Cook on his voyages of discovery, II : The Voyage of the Resolution and Adventure, tome II, Kraus Reprint, 1988, p. 821 (traduit par nous).
32 Georg Forster, Voyage autour du monde : Antarctique, île de Pâques, îles Marquises, Société des Ecrivains, 2004, p. 49. Forster donne un exemple de cette générosité : lorsqu’ils explorent l’île, ils voient « dix ou douze habitants autour d’un petit feu sur lequel ils faisaient cuire quelques patates. C’était là leur souper. Et quand nous passâmes près d’eux, ils nous en offrirent. Cette générosité était inattendue dans un pays aussi pauvre. Que l’on compare avec les habitudes des peuples civilisés, qui ont su se défaire de presque tous les sentiments envers leurs semblables ! » (op. cit., p. 43).
36 Jean-François de Lapérouse, Voyage autour du monde sur l’Astrolabe et la Boussole (1785-1788), La Découverte, 2008, p. 59.
40 Le Voyage de Lapérouse, 1785-1788, tome II, Imprimerie nationale, 1985, p. 83. L’édition de La Découverte comporte une coquille dans cette citation (op. cit., p. 80).
42Irina Fédorova, « Les textes Kohau Rongo Rongo », dans : Les Mystères résolus de l’île de Pâques, op. cit., p. 309.
43 Pierre Branche, L’Ile de Pâques, la mémoire retrouvée, Casterman, 1994, p. 23. De même, selon Alan Drake la déperdition de tablettes rongo-rongo est en partie « due au zèle des missionnaires ; dans le but d’éliminer l’ancienne religion, la plupart furent détruites. » (Alan Drake, Easter Island, the ceremonial center of Orongo, op. cit., p. 26 – traduit par nous)
44 Il n’en reste bel et bien que 24, et non 25 comme on le lit parfois – en effet, une tablette a été détruite en Europe au cours de la première guerre mondiale.
45 Steven Fischer présente cette possibilité comme un fait avéré dans Island at the end of the world : the turbulent history of Easter Island (Reaktion books, 2005, p. 64).
47 Catherine et Michel Orliac, Bois sculptés de l’île de Pâques, Parenthèses / Louise Leiris, 1995, p. 42.
48 José Miguel Ramirez, Easter Island, Rapa Nui, a land of rocky dreams, Carlos Huber, 2000, p. 10 (traduit par nous).
49 Il est à noter que des récits recueillis sur l’île au cours de la première moitié du XXe siècle font certainement référence à des faits qui datent en fait de cette période, et qui ont pu être extrapolés de façon abusive.
52 Le Sophora toromiro, arbre originaire de l’île de Pâques, était souvent utilisé par les rapanuis pour leurs sculptures sur bois. Des graines recueillies par des scientifiques sur les derniers spécimens, peu avant leur disparition, ont permis de récentes tentatives de réintroduction du toromiro sur l’île (Catherine Orliac, « Le toromiro, l’arbre des dieux », op. cit., pp. 393-394).
53 Erik Pearthree, « Identification des restes carbonisés de plantes non-ligneuses découverts sur trois sites d’habitat à l’île de Pâques », dans : Catherine Orliac (dir.), Archéologie en Océanie insulaire : peuplement, sociétés et paysages, Artcom, 2003, p. 178.
54 Les rapanuis ont ainsi été victimes de méthodes auparavant employées en Europe : « Pour transformer les terres arables en pâturages à moutons, on chassa les paysans de leurs terres et de leurs fermes. Cela dura en Angleterre du XVe au XIXe siècle. Dans les années 1814-1820, sur les domaines de la comtesse de Sutherland, par exemple, quinze mille habitants furent expulsés, leurs villages incendiés et leurs champs transformés en pâturages dans lesquels cent trente et un mille moutons remplacèrent les paysans. » (Rosa Luxemburg, Introduction à l’économie politique, Smolny, 2008, p. 375).
55 Rosa Luxemburg, Introduction à l’économie politique, op. cit., chapitre 6 : « Les tendances de l’économie mondiale », p. 380. Voir également p. 318.
59 Alejandra Grifferos, « El paraíso perdido : un movimiento anticolonialista en Rapanui (Isla de Pascua 1964) », Revista Werkén n° 3, 2002 (traduit par nous).
60 Riet Delsing, « Colonialism and Resistance in Rapa Nui », Rapa Nui Journal volume 18 n° 1, mai 2004, p. 27.
61 Marie-Françoise Peteuil, Les Evadés de l’île de Pâques : loin du Chili, vers Tahiti (1944-1958), L’Harmattan, 2004, p. 20.
62Grant McCall, « Riro, Rapu and Rapanui: Refoundations in Easter Island Colonial History », Rapa Nui Journal volume 11 n° 3, septembre 1997, p. 117 (traduit par nous).
63 « tout gêneur, tout meneur, tout contestataire pouvait être déclaré lépreux. » (Marie-Françoise Peteuil, Les Evadés de l’île de Pâques…, op. cit., p. 147).
66 Voir : Marie-Françoise Peteuil, Les Evadés de l’île de Pâques…, op. cit., en particulier pp. 86 à 151.
69 Informe Comisión Verdad Histórica y Nuevo Trato 2003, Volumen I, Historia de los Pueblos Indígenas de Chile y su relación con el Estado, El Pueblo Rapa Nui, 8 : « La administración de la Armada (1953-1965) ».
70 Helen Reid, A World away, a Canadian adventure on Easter Island, Ryerson Press, 1965, pp. 36-37, Alejandra Grifferos, « El paraíso perdido : un movimiento anticolonialista en Rapanui (Isla de Pascua 1964) », op. cit., et Marie-Françoise Peteuil, Les Evadés de l’île de Pâques…, op. cit., pp. 160-161.
71 Témoignage de Benedicto Tuki, dans : Alejandra Grifferos, « El paraíso perdido : un movimiento anticolonialista en Rapanui… », op. cit. (traduit par nous).
73 Informe Comisión Verdad Histórica y Nuevo Trato 2003, op. cit., El Pueblo Rapa Nui, 9 : « El Gobierno civil a partir de 1965 ».
74 Ajoutons qu’en 2002 plus de la moitié des rapanuis avaient moins de 25 ans, et près de 95 % moins de 60 ans, la moyenne d’âge étant de 26,6 ans (la plus faible de tous les groupes indigènes du Chili). Instituto Nacional de Estadísticas, Estadísticas Sociales de los pueblos indígenas en Chile, Censo 2002, INE, Santiago, 2005, pp. 12, 15, 17, 23, 25, 120 et 138.
76 Christine Legrand, « L’île de Pâques veut se protéger du tourisme de masse », Le Monde n° 20191, 24 décembre 2009, p. 4.
78 Francesco di Castri, « Towards the autonomy of Rapa Nui ? », Rapa Nui Journal volume 17 n° 2, octobre 2003, p. 127 (traduit par nous).
79 Christine Legrand, « L’île de Pâques veut se protéger du tourisme de masse », art. cit., pp. 1 et 4.
81 William Ayres, Becky Saleeby et Candace Levy, « Late prehistoric-early historic Easter Island subsistence patterns », dans : Christopher Stevenson et William Ayres (dir.), Easter Island archaeology, research on early Rapanui culture, Easter Island Foundation, 2000, p. 193 (traduit par nous).
83 Catherine et Michel Orliac, Trésors de l’Île de Pâques, Editions D et Louise Leiris, 2008, p. 52.
84 En 1934, Etienne Loppé préfaçant un ouvrage de Stephen Chauvet le qualifiait de « synthèse définitive » ! (dans : Stephen Chauvet, L’Ile de Pâques et ses mystères, Tel, 1935, p. 6). Le texte de Chauvet, qui n’était pas allé sur l’île, est aujourd’hui complètement dépassé.
85 Un petit détail parmi d’autres : on trouve mentionné dans des ouvrages récents que les tortues, représentées dans de nombreux bas-reliefs, ne passeraient plus près de l’île. C’est totalement faux : il suffit de s’y rendre ou d’interroger des habitants pour s’en rendre compte. Voir des tortues sur les plages de l’île ou dans le petit port de pêche n’étonne que les touristes…