Les Mémoires politiques de Paul Frölich

Il y a un an, dans un article consacré au marxiste allemand Paul Frölich, nous regrettions que ses Mémoires écrits à la fin des années 1930 soient toujours inédits1. Ce manque est désormais comblé : après une édition en italien, cette autobiographie paraît maintenant en français2.

Paul Frölich, militant socialiste et communiste, auteur d’une biographie de référence sur Rosa Luxemburg, raconte successivement son enfance dans une famille socialiste, ses débuts comme journaliste pour la presse du SPD, sa mobilisation comme soldat pendant la première guerre mondiale – contre laquelle il militait –, sa participation à la révolution allemande de 1918-1919, et la clandestinité en tant que dirigeant communiste.

Ces Mémoires politiques sont très intéressants par la description de l’activité militante quotidienne, mais plus anecdotiques quand Frölich s’attarde sur de petits conflits de personnes. Parfois un peu trop dépendant de ses impressions de l’époque des faits, Frölich est par exemple injuste et réducteur envers Paul Levi, autre militant communiste de cette période (dont malheureusement aucun texte important n’a été jusqu’ici traduit en français).

Frölich rappelle que Rosa Luxemburg rejetait les méthodes bolcheviques, confirmant un article de Paul Levi (inédit en français) où ce dernier cite Luxemburg disant par exemple fin 1918 que « les bolcheviks peuvent rester chez eux avec leur tactique »3.

Sur le débat concernant la participation aux élections de janvier 1919, Frölich nous apprend qu’il était en fait personnellement favorable à la participation, et n’a défendu le boycott au sein du Parti communiste (KPD) que parce qu’il était minoritaire dans sa section. A l’inverse, il affirme que Levi était personnellement pour le boycott mais qu’il défendit la participation par discipline4. On voit que les débats internes n’avaient pas toujours la plus grande clarté…

Frölich ne fait qu’esquisser le processus de transformation du KPD en bureaucratie. Mais en une phrase remarquable, il souligne « la transformation des « révolutionnaires professionnels » en fonctionnaires de parti et finalement en une quantité de petits dictateurs autoritaires et inutiles qui étouffent toute démocratie dans le parti. »5

Le récit s’arrête curieusement en 1921, de façon abrupte et sans conclusion de l’auteur. On peut se demander si le texte devait bien s’arrêter là : la rédaction aurait-elle été interrompue, ou bien la fin du manuscrit aurait-elle disparu6 ? Ou alors Frölich considérait-il que cette date marquait la fin de la période révolutionnaire, et qu’il n’était pas nécessaire de raconter les quinze années suivantes ? La narration de la suite de sa vie politique aurait pourtant été d’un grand intérêt : la lutte contre le stalinisme, contre le nazisme, l’exil, etc.

On regrettera par ailleurs que par le quatrième de couverture et la préface, l’éditeur tente de « tordre » le livre de Frölich dans le but de le faire rentrer dans le moule du dogme léniniste7. C’est là un mauvais service rendu à un texte qui, plutôt qu’artificiellement orienté de façon simplificatrice, gagne à être lu et réfléchi avec un esprit critique attentif et sans préjugé.

Il s’agit donc d’un document intéressant quoique inégal, mais qui ne comble évidemment pas l’absence d’une bonne synthèse en français sur l’histoire de la révolution allemande.

1 « Paul Frölich (1884-1953) », Critique Sociale n° 14 (février 2011), pages 5 à 11. Egalement publié en brochure : Paul Frölich, parcours militant du biographe de Rosa Luxemburg, Critique Sociale, 2011.

2Paul Frölich, Autobiographie 1890-1921, Editions Science marxiste, 2012, 257 pages, 15 €. Traduction de Jacqueline Bois.

3Paul Frölich, Autobiographie 1890-1921, p. 139.

4 Paul Frölich, Autobiographie 1890-1921, p. 134 à 137.

5 Autobiographie 1890-1921, p. 217. Le concept même de « révolutionnaires professionnels » est en cause dans la bureaucratisation et l’abolition de la démocratie interne dans les PC, mais Frölich ne rentre pas ici dans ces problématiques.

6 Page 217, Frölich écrit qu’il reparlera dans la suite du texte du financement du KPD par le Komintern ; mais ça n’est en fait pas le cas, ce qui tend à renforcer l’idée que le texte ne serait pas complet.

7 Il y a également quelques erreurs dans les notes de bas de page, par exemple l’amendement sur l’attitude face à la guerre proposé en août 1907 par Luxemburg, Martov et Lénine ne fut pas rejeté (p. 83), mais au contraire adopté par le congrès de l’Internationale socialiste réuni à Stuttgart.