« A l’école du socialisme », par Rosa Luxemburg

Rosa Luxemburg, A l’école du socialisme (Œuvres complètes, tome II), Collectif Smolny et Editions Agone, 2012, 268 pages, 22 euros. Traduction de Lucie Roignant, avant-propos du collectif Smolny, postface de Michael Krätke.

La parution de ce livre est un événement. C’est d’abord le deuxième tome des Œuvres complètes de Rosa Luxemburg1. D’autre part, ce n’est pas si souvent qu’un nouveau livre de Luxemburg n’est constitué que de textes inédits en français.

Il s’agit en l’occurrence d’un recueil d’articles et de divers matériaux souvent liés à son enseignement au sein de l’école du SPD à Berlin, de 1907 à 1913 (d’où le titre choisi par les éditeurs). Les textes ici rassemblés sont d’intérêts variables, et de natures très différentes : discours de congrès, articles de journaux, notes de travail, et transcriptions de cours.

Rosa Luxemburg s’intéresse particulièrement à l’histoire des rapports sociaux de production. Mais elle souhaite également qu’existent au sein de l’école du SPD des cours sur l’histoire du mouvement socialiste et du syndicalisme. Elle conçoit l’enseignement comme devant éveiller l’esprit critique : « La discussion, l’échange libre des élèves avec le professeur sont primordiaux, c’est la condition première d’un cours fécond » (p. 29). Certains textes étant en fait des notes de cours, la qualité des écrits s’en ressent malheureusement (et cela accentue un caractère forcément schématique), mais on sent bien la façon dont Rosa Luxemburg associe son auditoire au développement de son investigation historique.

D’abord chargée d’enseigner l’économie politique et l’histoire économique, elle note qu’en réalité « tous les peuples participent ensemble à une économie commune » (p. 20). Tout en s’appuyant sur les ouvrages de Karl Marx, elle ne sombre pas dans le dogmatisme et n’hésite pas à l’occasion à le contredire, tout en se basant sur sa méthode essentielle2. Il s’agit pour elle de comprendre le mieux possible la société réelle.

En résonance avec notre actualité, Rosa Luxemburg s’est particulièrement intéressée à l’histoire des crises capitalistes et de la théorie des crises. Elle remarque que « les crises sont un fléau de la société moderne. C’est pourquoi il ne s’est pas développé le moindre remède pour en venir à bout » (p. 157). Dans un manuscrit inachevé, elle se propose d’étudier l’histoire de la théorie des crises et pour cela commence par une étude des crises au XIXe siècle, comme base factuelle contribuant à expliquer l’évolution des tentatives d’explication et de théorisation des phénomènes de crises économiques. On voit par cet exemple qu’elle adopte, de même que Marx, une conception matérialiste de l’histoire comme fil conducteur de ses recherches.

Dans sa postface, l’universitaire Michael Krätke souligne à raison que pour Rosa Luxemburg, « l’économie politique était un phénomène historique, ne pouvant donc être compris qu’historiquement » (p. 232). Par contre, il écrit que Luxemburg fut « avant tout […] une économiste » (p. 221), ce qui est excessif et réducteur, et d’ailleurs nuancé de fait par Michael Krätke dans la suite de son propos. Fondamentalement, « elle voulait avant tout saisir à la racine le développement capitaliste le plus récent » (p. 222), donc faire « rendre gorge » à la réalité de son temps, aux mécanismes régissant les rapports sociaux. Enfin, il ne faut pas oublier que ses études – de critique de l’économie politique ou non – étaient reliées à la perspective d’une révolution sociale menée par les masses elles-mêmes.

Signalons pour finir l’attention apportée par les éditeurs à l’appareil critique, les notes étant pertinentes et précises3. Les « OCRL » (Œuvres complètes de Rosa Luxemburg) sont donc en de bonnes mains, et on attend avec impatience les tomes suivants4.

1 Le premier tome était Introduction à l’économie politique – qu’il vaut sans doute mieux lire avant ce deuxième tome.

2 Ainsi sur la question de l’indépendance polonaise : même si Marx partait d’une intention tout à fait juste d’en finir avec la tyrannie du tsarisme, ses conclusions concernant la Pologne étaient cependant erronées selon Rosa Luxemburg, qui en tant que « marxienne » réelle n’hésita pas à contredire Marx sur ce point, et à prôner « la lutte commune du prolétariat de Pologne et de Russie pour le renversement de l’absolutisme et la démocratisation de la société » (Rosa Luxemburg, Internationalismus und Klassenkampf, Luchterhand Verlag, 1971, p. 200).

3 S’il faut vraiment trouver un défaut : p. 247, note 82 (et p. 260, notes 36-38), la traduction française d’un article de Luxemburg n’est pas indiquée (« Arrêts et progrès du marxisme », dans : David Riazanov, La Confession de Karl Marx, Ed. Spartacus, 1969, pp. 28-32).

4 Le tome III sera consacré au Socialisme et la France, et le tome IV à L’Accumulation du capital [finalement, ce sera le tome V : le tome IV étant consacré à la Brochure de Junius et la lutte contre la guerre]. Six autres volumes sont ultérieurement prévus.