Le dialogue et la guerre civile

Thierry Lepaon, nouveau dirigeant de la C.G.T., donne un interview dans le magazine du Conseil régional de Basse-Normandie où il déclare : « le jour où des patrons ne discuteront plus avec les syndicats, nous serons en guerre civile »1. L’aveu est intéressant, et peut être lu de différentes façons. Les plus anti-syndicaux diront probablement : le jour où les syndicats ne discuteront plus avec les patrons, ce sera la Révolution. Ce serait certes une distorsion de ce qu’a voulu dire le syndicaliste qui est plutôt de l’ordre : nous sommes incontournables, indispensables, à l’ordre bourgeois certes mais dans un sens plutôt un petit peu menaçant. Thierry Lepaon a grandi à l’école stalinienne : pas d’auto-organisation des luttes, mais encadrement strict car il n’y a rien en dehors de l’organisation.

 

Plusieurs groupes communistes anti-staliniens ont développé il y a déjà longtemps une posture radicalement anti-syndicale : le syndicalisme est intégré à l’Etat bourgeois, il freine, entrave, sabote ou détourne la lutte de classe selon les nuances ou les circonstances. Cette dimension d’intégration est à tempérer par :

  1. la distinction entre le syndicat de base et la bureaucratie syndicale. La plupart des militants de base, protégés de l’arbitraire patronal par l’interface juridique de la forme syndicale et assurés de quelques moyens par la permanence organisationnelle (cotisations hors périodes de lutte, etc.), font un travail honnête de défense de leurs collègues dans les boîtes, même si, lorsqu’ils deviennent permanents, aucun n’est à l’abri de la tentation d’une carrière bureaucratique pantouflarde.

  2. une contradiction, une tension intrinsèque qui fait que le syndicalisme reste un minimum sous la pression de sa base, de ses objectifs affichés de défense des salariés, qui fait que lorsqu’une lutte d’ampleur nationale est impulsée par le haut, par la bureaucratie syndicale, comme dans les luttes en France sur les retraites, avec des plateformes (pas de retrait, union large), des modalités (pas de grève générale) et des calendriers (journées saute-moutons) perdants, la pression en cas de forte mobilisation contraint le schéma initial à se renforcer un peu (on augmente la fréquence des journées d’action, on laisse les grèves se multiplier, on laisse les jaunes signer seuls l’accord de capitulation, etc.).

La « question syndicale » est à considérer à la fois en tant que prolétaire et en tant que révolutionnaire, sur le terrain de la lutte de classe au quotidien : mettre en avant systématiquement les A.G., dénoncer l’imposture du « dialogue social » tout en acceptant des négociations dans le cadre d’améliorations, notamment salariales, basées sur le rapport de forces, sur la lutte de classe au quotidien des exploité-e-s. La Révolution ne viendra pas des syndicats, mais elle ne viendra pas davantage de la phraséologie de ceux qui dédaignent systématiquement la lutte sur le terrain économique.

1 Reflets n° 89, mars-avril 2013, pp. 28-29.