Rosa Luxemburg, Le Socialisme en France (1898-1912), Œuvres complètes tome III, Collectif Smolny et Editions Agone, 2013, 297 pages, 22 euros. Préface de Jean-Numa Ducange.
Le rythme de parution des Œuvres complètes de Rosa Luxemburg semble maintenant établi à un tome par an. En 2014 paraîtra, afin de coïncider avec le centenaire du début de la Première Guerre mondiale, un volume consacré à L’Internationale et la guerre – qui comportera notamment la célèbre brochure La Crise de la social-démocratie.
Le troisième volume des Œuvres complètes de Rosa Luxemburg vient de paraître. Il est constitué d’articles consacrés au mouvement socialiste en France, et parfois plus généralement à l’évolution politique et sociale qui en constitue le contexte. Ce volume est en fait une version nettement augmentée du recueil que Daniel Guérin avait publié en 1971 sous le même titre1, et qui était depuis longtemps épuisé. Rosa Luxemburg avait un temps vécu en France2, et n’avait cessé de s’intéresser au mouvement ouvrier et aux luttes sociales qui s’y déroulaient. Elle envoya un télégramme de félicitation au congrès d’unification socialiste d’avril 1905 qui créait la SFIO3. Elle avait également quelques contacts personnels avec des militants en France.
Les premiers articles ici rassemblés visaient à informer le public germanophone de la situation politique en France : il s’agit d’un travail journalistique. Il y a ensuite des analyses plus étoffées et approfondies, qui concernent d’abord l’affaire Dreyfus. Luxemburg s’y montre nettement dreyfusarde, identifiant dans l’affaire « quatre facteurs sociaux qui lui donnent directement le cachet d’une question intéressant la lutte de classes, à savoir : militarisme, chauvinisme-nationalisme, antisémitisme et cléricalisme. Ces ennemis directs du prolétariat socialiste, nous les combattons toujours ». De façon plus générale, et à l’encontre de certains simplismes, elle affirme que « le prolétariat doit s’efforcer, dans sa marche en avant vers la victoire, d’influencer tous les événements sociaux dans le sens qui lui est favorable. […] Le principe de la lutte de classes non seulement ne peut l’interdire, mais au contraire il impose l’intervention active du prolétariat dans tous les conflits politiques et sociaux de quelque importance qui se produisent à l’intérieur de la bourgeoisie ». L’affaire ne lui apparaît pas comme une simple péripétie : « il s’agissait de sauver la République, la démocratie, le présent État d’une chute dans la barbarie afin de construire sur ses bases la communauté socialiste ». A ses yeux, le prolétariat est alors dans cette crise « le seul gardien de la République et de la démocratie »4.
Autre sujet d’importance, l’entrée d’un socialiste au sein du gouvernement français en 1899. La question fait débat au sein de l’Internationale, et Rosa Luxemburg se situe clairement en opposition au « ministérialisme ». Montrant qu’un « socialiste au sein du gouvernement bourgeois ne peut agir que s’il met ses capacités au service de la politique bourgeoise et renie la politique socialiste », elle conclut que « l’entrée des socialistes dans un gouvernement bourgeois n’est donc pas, comme on le croit, une conquête partielle de l’État bourgeois par les socialistes, mais une conquête partielle du parti socialiste par l’État bourgeois ». Parlant de « la trahison des socialistes ministériels envers le socialisme », constat qui nous paraît une fois de plus d’actualité, elle écrit que « celui qui renie les principes socialistes, même s’il s’imagine servir le socialisme, devient l’instrument de ses actes au lieu d’en être le maître et s’avère dupe lui-même »5.
Enfin, Luxemburg suit pas à pas le lent processus d’unification des socialistes en France. Au début des années 1900, elle est proche du courant formé par le Parti ouvrier, le Parti socialiste révolutionnaire et l’Alliance communiste, qui s’unissent ensuite pour créer le Parti socialiste de France – lequel se présente comme une « fraction du prolétariat international organisé ». A l’inverse, Rosa Luxemburg critique à plusieurs reprises le leader du courant socialiste opposé, Jean Jaurès, avec des arguments étayés et de nombreuses citations à l’appui.
Fondamentalement, on retrouve dans ces pages l’attachement de Rosa Luxemburg à « la clarté des principes », et son corollaire qui est la critique de « la politique au jour le jour, sans principes ». Surtout, dans ses analyses de l’actualité, elle ne perd jamais de vue l’objectif final : arriver à « une nouvelle société faite d’hommes libres et égaux »6.
1 Rosa Luxemburg, Le Socialisme en France, 1898-1912, Belfond, 1971, 246 pages. Inversement, quelques éléments présents dans le Guérin ne le sont pas dans la publication de 2013. Signalons une erreur : à la page 244, « démonstration pacifique prolétarienne » est remplacé de façon erronée par « démonstration spécifique prolétarienne » (cette coquille provient manifestement de la numérisation de cet article que l’on trouve sur internet).
2 Voir notre brochure sur Rosa Luxemburg publiée en 2011 (disponible soit en format papier, soit téléchargeable en format PDF sur notre site internet : http://www.critique-sociale.info/836/brochure-rosa-luxemburg-mise-a-jour/ ).