Un livre de Paul Frölich sur la guerre 14-18 en Allemagne

Paul Frölich, Impérialisme, guerre et lutte de classes en Allemagne, 1914-1918, éditions Science marxiste, 2014, 346 pages, 22 euros.

Ce livre de Paul Frölich1, publié en Allemagne en 1924, vient d’être traduit en français. Précisons que le titre est de l’éditeur, l’ouvrage est paru à l’époque sous le simple titre « La guerre ». Et c’est bien de cela qu’il s’agit, un texte de synthèse sur la guerre de 14-18 à destination des militants du Parti communiste d’Allemagne (KPD) de l’époque.

Disons-le tout net, on est malheureusement très loin de la qualité de la biographie consacrée par le même Frölich à Rosa Luxemburg (publiée 15 ans plus tard, en 1939). Il prévient d’ailleurs dans son avant-propos qu’il n’a pas eu « le temps de se plonger dans cette tâche autant qu’il le faudrait. On doit donc se contenter de retracer l’histoire à grands traits. […] Le temps n’est pas encore venu où l’on pourra s’adonner à l’histoire au nom même de l’histoire » (p. 3).

Dans un premier temps, Paul Frölich résume les tensions internationales avant 1914 et leurs causes, et donne un aperçu des stratégies et des forces militaires en présence. De toute évidence, « l’Europe était comme une grande poudrière. Il ne manquait plus qu’une étincelle pour qu’elle explosât » (p. 28).

Dans le contexte politique des années 1920 en Allemagne, il est important pour Frölich de détruire la « légende du coup de poignard dans le dos » : cette légende, répandue par les conservateurs et réactionnaires dès la fin de la guerre, visait à dédouaner les militaires de la défaite en la rejetant sur une prétendue trahison de l’arrière émanant des marxistes et des juifs. Ce mensonge historique eut une grande influence dans l’entre-deux-guerres en Allemagne. Il fut repris notamment par les deux principaux dirigeants de l’armée allemande : Ludendorff, qui fut membre du parti nazi, et Hindenburg, président allemand qui en 1933 nomma Hitler au poste de chancelier2. Frölich s’attache donc à démystifier ces contre-vérités, à partir d’éléments concrets. Il fournit ainsi une analyse rationnelle et matérialiste des causes de la défaite militaire allemande. Il souligne « la contradiction criante entre les moyens et les buts de l’impérialisme allemand », ce qui « devait conduire à l’effondrement » (p. 110).

Il analyse ensuite les intérêts économiques en Allemagne pendant la guerre. Dès avant le conflit, l’industrie de l’armement s’était mise « à réclamer à grands cris des contrats de plus en plus importants. Elle vit affluer vers elle de gigantesques bénéfices. Le militarisme était une affaire on ne peut plus florissante » (p. 14). La guerre eut un coût colossal, et « l’économie allemande fut progressivement réorganisée et, peu à peu, l’Allemagne entière devint une énorme usine de munitions » (p. 137). Les conséquences touchèrent durement la population : Frölich rapporte que pendant le conflit, « les produits alimentaires se raréfient. La faim devient insupportable » (p. 225).

Le livre ne contient par contre pas grand chose sur le mouvement ouvrier et les luttes sociales, et le peu qui est écrit est trop souvent schématique voire parfois caricatural. Le texte souffre d’une certaine « orthodoxie » qui reflète l’idéologie du KPD en 1924, qui était à cette date déjà très éloigné des conceptions de sa fondation (début janvier 1919) et plus proche du dogmatisme émanant de la direction du Komintern. Ce livre est donc un document historiquement daté.

Il s’achève par une annexe avec des textes d’époque, certains bien connus, d’autres moins. Par exemple, un appel du 7 octobre 1918 des spartakistes (le groupe Die Internationale, bientôt renommé Ligue Spartacus) et des Linksradikalen, qui tout en fixant l’objectif de la révolution sociale pour en finir avec le capitalisme, proposent des revendications immédiates dont l’« annulation de tous les emprunts de guerre sans aucune indemnité », la « réduction sensible du temps de travail », l’« abolition de la peine de mort » et « la lutte pour la démocratisation réelle » (p. 298-299).

Sont également cités deux appels communs des révolutionnaires de Pologne, dont le SDKPiL – parti dont étaient membres Rosa Luxemburg et Léo Jogichès. Le premier est du 2 août 1914 : « Le prolétariat oppose à la politique de la guerre de tous contre tous, la solidarité internationale qui est fondée sur la fraternité de l’esprit révolutionnaire, sur le projet commun de détruire le système actuel d’exploitation et d’oppression et de réaliser l’ordre socialiste. Le prolétariat déclare la guerre à la guerre, à ses gouvernements, à ses oppresseurs ». Dans le second, le 5 août, ces socialistes internationalistes appellent à des « mouvements de masse contre l’ordre capitaliste, sous des mots d’ordre de conquêtes sociales, de démocratie véritable » (p. 93). C’est résolument dans cette filiation politique que nous inscrivons notre action.

1 Voir nos articles : « Paul Frölich (1884-1953) » (Critique Sociale n° 14, février 2011, texte également publié en brochure sous le titre Paul Frölich, parcours militant du biographe de Rosa Luxemburg) ; « Les Mémoires politiques de Paul Frölich » (Critique Sociale n° 19, janvier 2012) ; et « Révolution et contre-révolution en Allemagne, 1918-1920 » (Critique Sociale n° 30, mars 2014).

2 Voir « Les rapports de force électoraux dans la République de Weimar » (Critique Sociale n° 19, janvier 2012, texte également publié en brochure).