Critique de la raison « PIR »

Analyse rhétorique de Les Blancs, les Juifs et nous

Un rayon de soleil sur le soir qui tombe. Musique et fanions. Une « cantine associative » de banlieue qui annonce, pour le meeting de ce soir, une invitée de marque : Houria Bouteldja, porte-parole du Parti des Indigènes de la République, malmenée par la « bonne conscience de gauche ».

Dès mon arrivée, je suis corrigée par l’une des organisatrices : il ne s’agit pas d’un « meeting » mais d’un « débat ». Tant mieux : je présume qu’il y aura échange contradictoire. D’ailleurs, une autre invitée est annoncée : la philosophe belge Isabelle Stengers.

Autour de moi, les discussions témoignent de l’enthousiasme des participant.e.s : la pensée de Bouteldja est tellement « fine » que beaucoup avouent « ne rien y comprendre ». Je me demande donc, un peu perplexe, sur quelle base repose leur adhésion à son système. D’autres commentent certaines de ses sorties médiatiques : « quand elle dit  »Nous, on a l’Humanité avec nous ! », elle est magistrale ! ». En voilà, une phrase à l’argumentation imparable ! Qui peut se prévaloir d’avoir « l’Humanité » avec soi ? Il faut avoir pris le temps de recenser tous ses partisans de part et d’autre du globe ! Ce simple travail mérite à lui seul que je tire mon chapeau.

Enfin, les voix se taisent et le « débat » commence. Toutes les voix se taisent : Bouteldja et Stengers ressemblent à deux dames trop polies qui veulent à tout prix laisser l’autre passer en premier. « Vous d’abord ! Je n’en ferais rien ! » Pourtant, l’organisatrice les a déjà présentées, insistant sur sa « joie » d’avoir comme invitée la représentante du PIR, hélas1 vilipendée et boudée par les médias (elle était invitée sur France 2 par Taddéi la semaine d’avant, mais bon).

Isabelle Stengers prend la parole. Pour aussitôt se lancer dans un panégyrique de Bouteldja pour le moins désarmant : au contraire de l’oratrice, la jeune femme a connu, eu égard à ses origines extra-européennes, une histoire terrible qui explique l’acuité de ses analyses et son courage dans ses combats. Je me retourne : que des Blancs autour de moi. Stengers me semble à l’image du public, cherchant dans une forme de « communion » avec Bouteldja l’absolution pour ce terrible péché qu’est le fait d’être né blanc. Et la philosophe belge de se donner la discipline pendant cinq bonnes minutes.

Ca y est, la porte-parole du PIR parle. Que dit-elle ? Le courage qu’il faut pour oser réfléchir et parler en ces temps de diktat post-colonial. C’est un travail difficile qui, Isabelle Stengers a raison, demande beaucoup de courage. Risquerait-elle sa vie et sa prison pour ses idées ? Non, elle me rassure aussitôt : ce qu’elle met en balance, c’est sa « respectabilité ». Bon, si sa crainte est seulement de plus être invitée à grignoter des petits fours, me voilà soulagée. Mais, ajoute-t-elle, c’est pour gagner quelque chose de bien plus précieux qu’elle fait ce sacrifice : la « dignité ». C’est au nom de cette « dignité » (le mot est martelé cinq ou six fois en trois minutes) que les « Indigènes » doivent sacrifier leur « respectabilité ». Voilà les enjeux posés : dignité vs respectabilité.

  1. « Au commencement était le Verbe ». Du bon usage du flou lexical

Je m’interroge sur cet usage des noms abstraits en « -té » dont le choix n’est pas uniquement présidé par la rime. Ces substantifs, par leur abstraction même, ont un contour sémantique assez flou, qui permet à chacun d’y entendre ce qu’il souhaite2. De la part de quelqu’un qui reproche volontiers à la pensée post-coloniale de penser en catégories universelles et abstraites, je trouve la farce assez osée.

Il est vrai, Houria Bouteldja affectionne en réalité les substantifs abstraits, qu’il s’agisse du néologisme « blanchité », lui aussi nom de qualité en « -té » qui apparaît dès le premier chapitre dans son livre Les Blancs, les Juifs et nous, ou des catégories « race », « Blancs », « Juifs » et « Indigènes » dont elle prend soin de préciser qu’il s’agit sous sa plume de catégories sociales et non de faits de peau3. Ainsi, on ne saurait lui reprocher de tomber dans le travers de ses ennemis, c’est-à-dire d’élaborer une pensée raciste.

Ce goût pour les termes abstraits et mal définis apparaît dès le sommaire : après un premier chapitre aux allures d’introduction intitulé « Fusillez Sartre ! » auquel elle reproche de ne pas avoir été « traître à sa race4 », elle propose un chapitre au titre éloquent, « Vous, les Blancs », deux autres « Nous, les Femmes indigènes » et « Nous, les Indigènes » avant un dernier « Allahou akbar ! ». Un sommaire qui témoigne clairement d’une bipartition nette entre ce « nous » et ce « vous » articulée autour de conflits qui opposeraient fondamentalement les « Indigènes » – entendez : ceux qui relèvent de cette « catégorie sociale » – et les « Blancs ». L’opposition « dignité »/ « respectabilité » serait donc une réponse à l’alternative « blanchité »/ « décolonialité », p. 64.

  1. « Et la tendresse, bordel ! ». Du bon usage du manichéisme

Car, en plus d’aimer les mots abstraits, Bouteldja aime les oppositions franches, se prévalant en cela de la pensée de Fanon : « Le manichéisme du colon produit un manichéisme du colonisé 5». C’est ce qui lui permet de voir des « paradoxes » un peu partout (le terme apparaît deux fois en deux pages, pp. 19 et 20, pour définir l’attitude à la fois anticoloniale et « blanche » de Sartre et l’amitié de Genet pour les colonisés comme pour les Juifs6) mais aussi de donner rapidement à son livre une préoccupation morale plus que politique : elle oppose les méchants aux « gentils 7», l’« innocence 8» à la culpabilité (p. 30) en dépit de la protestation «  je ne suis pas moraliste » (p. 64). Remarquons au passage qu’elle manie tour à tour ces mots avec ironie (p. 30) ou premier degré (p. 23), brouillant ainsi l’énonciation de son texte. La lecture globale du livre fournit toutefois la clé : ces mots sont employés de façon ironique quand ils prétendent rendre compte du discours « blanc ». Enfin, elle leur substitue habilement le terme encore plus flou de « laideur » (pp. 35 et 39 : « votre laideur intrinsèque ») sans le définir ni que l’on sache ainsi en quoi elle consiste.

  1. « Et hop ! Ni vu, ni connu, j’t’embrouille ! » Du bon usage du brouillage énonciatif

Cette rhétorique qui consiste à jouer tout à la fois de l’indéfinition des termes et des oppositions apparaît au sein du livre dans l’évolution référentielle des deux pronoms précédemment cités, « nous » et « vous ».

Le second désigne tout d’abord « les Blancs », comme elle l’explique au début de son deuxième chapitre9, puis les Juifs au troisième chapitre, deux populations qu’elle a pourtant à cœur de dissocier pour adresser aux derniers le reproche suivant : avoir accepté de se fondre dans la société française10 au prix d’une « trahison11 », déniant ainsi aux Juifs le pouvoir de se définir autrement que par leur religion en toute sincérité. Or, comme il est peu probable que le lecteur réel de Les Blancs, les Juifs et nous soit concomitamment « Juif » et « Blanc » au sens de Bouteldja, cet interlocuteur n’est, de façon affichée, qu’une fiction élaborée à des fins argumentatives. Pourquoi pas ? Faire intervenir dans un texte un lecteur théorique et fictif est un procédé vieux comme la rhétorique. Mais alors, pourquoi les lier en un « vous » englobant si elle estime que les Juifs sont ses « cousins12 » ? N’est-ce pas les lier indéfectiblement aux « Blancs arrogants » ? En employant un seul et même pronom, Bouteldja brouille le départ qu’elle prétend établir entre les deux populations et place définitivement les Juifs du côté des oppresseurs.

De son côté, le pronom personnel « nous »13, revêt la même indétermination. Celle-ci est pour une part affichée dans les titres des chapitres suivants, « Nous, les Femmes indigènes » et « Nous, les Indigènes », puisqu’être née femme et être né homme n’expose pas à la même oppression. Mais un autre aspect de ce brouillage est moins évident : il apparaît dans la généalogie au nom de laquelle l’auteure prétend remonter à l’Amérique pré-colombienne14, faisant fi des différences entre le génocide dont les Indiens d’Amérique ont été victimes et la colonisation de l’Algérie. Ainsi, les « Indigènes » sont pour toujours du côté des « gentils », qu’ils aient été ou non à leur tour à la tête d’empires coloniaux comme la Turquie, qu’ils résident en Europe ou dans le Tiers-Monde. Ce flou référentiel permet de présenter le monde comme scindé en seulement deux pôles étanches mais à peu près homogènes, « Blancs » et « Indigènes », tout comme les croisés décrivaient le monde comme réparti exclusivement entre « Chrétiens » et « Infidèles ».

  1. « C’est lui qui l’a dit ! » Du bon usage des citations

L’emploi de l’expression « vers une politique de l’amour révolutionnaire », sous-titre dudit livre, est, aussi, pour le moins confus : dans une petite introduction15, Bouteldja déclare « emprunter » cette formule à Chela Sandoval, tout en affirmant : « Je ne sais pas quel contenu elle lui donnait mais l’expression m’a plu », jouant cette fois du flou de ses références16, ce qui est tout de même étrange quand cette référence fait titre !

En effet, si les catégories intellectuelles et les pronoms qu’elle emploie font l’objet d’un brouillage sémantique et référentiel, le même reproche peut être adressé à son usage des citations. Nombreuses sont les figures convoquées pour leur autorité intellectuelle sans références précises : c’est le sort qu’elle fait subir à Césaire p. 21, à Malcolm X p. 22, à Gramsci p. 27, Audre Lorde p. 94… Nous ne relèverons pas ici tous les exemples à notre portée, trop nombreux. Notons seulement au passage l’amour de l’auteure pour les arguments d’autorité, quitte à extraire la citation de son contexte, et partant à modifier son sens : la phrase de Gramsci « Le vieux monde se meurt. Le nouveau est long à paraître et c’est dans ce clair-obscur que surgissent les monstres » est en effet indissociable du contexte de l’entre-deux-guerres, fort différent de notre actualité contemporaine. Enfin, nous constatons que l’une des références les plus fréquentes est Sadri Khiari (pas moins de cinq notes pp. 141-142), c’est-à-dire un autre militant du PIR qu’elle présente pourtant dans le corps de son livre à l’égal des autres intellectuels cités. C’est un peu comme si je me mettais sous le patronage de tel de mes camarades de Critique sociale pour confirmer mes dires.

  1. Et la prosopopée dans tout ça 17? Du bon usage des « voix »

Mais les paroles d’autorité sont loin d’être les seules à être entourées d’un flou volontaire. Avec l’usage des pronoms personnels précédemment cités, Bouteldja prête aux un.e.s et aux autres des comportements et des propos invérifiables. Ainsi, écrit-elle :

« Vous nous avez sommés de voter utile. Nous avons obéi. De voter socialiste. Nous avons obéi. Puis de défendre les valeurs républicaines. Nous avons obéi. Et surtout de ne pas faire le jeu du Front national. Nous avons obéi. En d’autres termes, nous nous sommes sacrifiés pour vous sauver, vous18. »

De qui parle-t-elle ? Qui est ce « vous » ? L’ensemble des « Blancs », comme le laisse penser le titre du chapitre dont ces lignes sont extraites ? Les « prolos blancs », comme elle le prétend à la page précédente19 ? En ce cas, j’ignorais que les « sacrifiés de l’Europe des marchés et de l’Etat20 », pour reprendre ses mots, avaient le pouvoir et l’habitude de donner des consignes de vote. Et qui est ce « nous » ? Qui s’est sacrifié ? Les « Indigènes » ont donc voté indistinctement socialiste dès qu’ils ont pu voter ? Là encore, cette bipartition enserre chacun dans un groupe présenté comme homogène, sans aucun égard pour les comportements individuels ou la formation d’autres solidarités (en fonction, par exemple, des classes sociales ou des discriminations de genre). Or, l’essentiel de l’argumentation de ce livre repose précisément sur une litanie de comportements qu’elle prête aux « Blancs » et aux « Indigènes » de façon uniforme, litanie qui finit par essentialiser les un.e.s et les autres. En effet, la citation précédente, par l’épiphore « Nous avons obéi » place une fois pour toutes le « vous » du côté de l’injonction (« sommer »), donc de la puissance, et le « nous » du côté de l’obéissance et de la soumission.

  1. « Le » Blanc et « l’ » Immigré : du bon usage de l’article défini

Cette essentialisation repose également sur l’emploi générique de l’article défini (« le »), c’est-à-dire qui considère l’ensemble de la classe à laquelle appartient le nom qui le suit et non un seul élément de cette classe21 :

« L’immigré allait enfin trouver le saint Graal. Il allait pouvoir revendiquer ses droits. Lorsqu’il a débarqué à Marseille, l’immigré, il s’est retrouvé nez à nez avec elle, la démocratie. Il s’est penché, il est tombé sur les droits de l’homme, il a tourné à droite, il s’est cogné à la liberté. […] Et puis, quand il était élégant, l’immigré, il savait se laisser mourir avant la retraite22. »

Bouteldja reprend à son compte, au bas de la même page, ce commode emploi générique de l’article défini : « L’immigré, c’est le blues de nos chansons qui en parle le mieux. » Une vingtaine de pages plus loin, c’est à nouveau tout un paragraphe qui reprend cette expression pour expliquer ce qui ferait la supériorité de « l’immigré » sur les autres « prolos » :

« Contrairement aux élites de ce pays, bourgeoises, arrogantes et cyniques, l’immigré a l’expérience du prolo blanc. Il le connaît. Il sait comment il a été livré, désarmé, privé de Dieu, du communisme et de tout horizon, au grand capital. […] à celui qui prétend concurrencer Dieu, il répond : Allahou akbar !23 »

Seule l’aptitude à démêler le « Blanc » de l’« Indigène » chez le lecteur permet de distinguer dans ces exemples l’ironique du sérieux. Grâce à ce procédé, Bouteldja crée une connivence facile avec le lecteur qui sait faire cette opération et distingue artificiellement deux emplois de l’article défini générique : un emploi légitime, celui de « l’Indigène », et un autre illégitime, celui du « Blanc ». Ou le retour du « manichéisme »… Et, surtout, elle parachève l’essentialisation des comportements évoquée plus haut (partie V).

Autre élément du brouillage énonciatif : l’auteure fait intervenir à six reprises une « voix » (« la voix »24) pour retranscrire ce qu’elle présente comme le discours de « la bonne conscience blanche ». La prosopopée est donc élément fondamental de son complexe argumentatif en ce qu’elle lui permet d’affirmer tout et son contraire et d’accentuer sa bipartition entre « vous » et « nous ».

  1. « Et Dieu dit. » Du bon usage du lexique religieux

Cette frontière fondamentale qu’elle dresse entre « la bonne conscience blanche » et les « Indigènes » apparaît également dans l’emploi du lexique religieux. Chez ces derniers, non seulement ce lexique est légitimé mais il est présenté comme nécessaire. Ce lexique est abondamment présent dans la préface25, qui s’ouvre sur « Heureux soient […] » et s’achève sur « Qu’ils reposent en paix », en passant par deux occurrences du mot « frère », une du mot « sœur », les mots « fois », « Dieu » et « foi ». A cette préface répond le dernier chapitre en forme de postface au titre éloquent, « Allahou akbar »26, profession de foi sur laquelle se clôt le livre p. 140 et qui était répétée pp. 132 et 133 avec des variations : « une seule entité est autorisée à dominer : Dieu27 » (ibid.) ou « seul le Tout-Puissant est éternel28 ». En effet, nous dit Bouteldja dans ce chapitre, c’est là la mission des « Indigènes » : « réenchanter le monde29 ».

L’importance de cette « mission » est soulignée par la répétition, au sein du livre, des appellatifs « sœurs » (sept fois dans le seul chapitre « Nous, les Femmes indigènes ») et « frères ». On ne saurait donc se tromper sur le destinataire de ce livre.

Ce vocabulaire religieux fait bien entendu l’objet d’une dévalorisation dès qu’il désigne les « Blancs », et ce de deux façons différentes. La première consiste à leur reproche leur athéisme (réel ou supposé). Ainsi, à propos de Descartes (dont on découvre, étonné, qu’il ne croyait pas en Dieu30) : « Il va séculariser les attributs de Dieu31 ». Plus loin : « Du désenchantement du monde et de leur conflit avec l’Eglise dont ils tirent une vérité universelle, les Français ne sont pas peu fiers32 » ou encore les expressions « impiété collective », « athéisme d’Etat » et « Raison blanche »33. La seconde consiste à renouveler l’emploi de l’ironie pour marquer l’illégitimité de tout discours religieux de la part des « Blancs » : «  »Une révolution scientifique : les Américains lancent leur première bombe sur le Japon. » Ce sont des anges qui ont écrit ces lignes.34 ». On aimerait savoir qui a pu proclamer l’angélisme des auteurs de cet article sur la bombe atomique, mais l’auteure ne daigne pas nous éclairer. Plus loin, le lexique religieux est employé comme métaphore ironique à propos de la mémoire de la Shoah : « avoir laissé la commémoration du génocide nazi devenir une  »religion civile européenne » fait craindre le pire […]. Le temps du blasphème est venu.35 » et sur le même sujet : « Ils [les négationnistes « indigènes »] s’en prennent au temple du sacré : la mauvaise conscience blanche36 ».

La différence fondamentale que finit par établir Bouteldja entre « vous » et « nous » est donc ce rapport à la religion : comme « vous » ont « désenchanté » le monde, toute utilisation par leurs soins d’un langage religieux ne pourrait qu’être suspect et, à ce titre, repoussé avec ironie comme une mauvaise métaphore. En revanche, elle est un trait définitoire de « nous ».

« Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens37 » ou quelques mots de conclusion

La précaution oratoire de la page 118 « la blanchité n’est pas une question de génétique » ne peut préserver ce livre de l’accusation de racisme qu’aux yeux, n’en déplaise à son auteure, d’un lecteur extrêmement ancré dans une modernité « désenchantée » au sens des XIXe et XXe siècles38. C’est en effet au XIXe siècle, sous la plume, entre autres, de Gobineau que l’on ne distingue plus les Européens des habitants des autres continents par leur religion mais par une différence de « race » au sens biologique, le terme étant employé à propos des Hommes sur le modèle des animaux. Pour autant, si le terme n’existait pas auparavant, le racisme en tant que doctrine clivant les Hommes en des catégories étanches préexiste bien sûr à ces théories puisque sa définition est tout simplement qu’il distingue dans l’Humanité des groupes qui seraient ontologiquement distincts, quelle que soit la raison de cette distinction. Invoquer une théorie religieuse (les Musulmans contre les athées) n’est donc certainement pas la preuve d’une absence de racisme mais bien plutôt d’un processus intellectuel qui va chercher ses origines idéologiques dans un passé plus lointain, le Moyen Age ou la Renaissance et leurs nombreuses guerres de religion. En un mot, seul un nouveau « Gobineau » peut croire qu’il ne s’agit pas là de « racisme » ! Et il n’est pas sûr que les croisades aient été la preuve d’une société pacifiée, exempte de condescendance « blanche » à l’égard des Musulmans… Alors, non, le PIR n’est pas « avenir » mais bien plutôt passé39 !

Clélie.

1 Ou pas : n’est-ce pas la preuve de l’oppression coloniale qu’elle dénonce ?

2 Cette confusion est revendiquée par la militante PIR elle-même puisque, alors qu’il est l’un des rares mots de son livre à avoir droit à des lettres capitales, elle en dit : « Ce mot, dignité, je ne saurais le définir précisément » (fin de définition), p. 124, éditions La Fabrique, 2016. Cet aveu est tout de même surprenant pour une notion présentée comme essentielle à sa pensée.

3 Introduction p. 13 et p. 118 : « La blanchité n’est pas une question génétique. Elle est le rapport de pouvoir ».

4 P. 19. Ce reproche amène d’ailleurs d’emblée à s’interroger sur la sincérité du terme de « race », chez Bouteldja, comme catégorie sociale puisque, si l’on peut la trahir, c’est bien qu’elle nous définirait de façon ontologique et non comme un choix politique. La porte-parole des « Indigènes », tant en reconnaissant à Genet cette vertu qui aurait fait défaut à Sartre, continue à le classer comme « Blanc ». Qu’est-ce qui pourrait dès lors expliquer ce classement sinon la couleur de peau ?

5 P. 34. Si le manichéisme est un produit du colonialisme, n’est-on pas autorisé à se demander pourquoi une pensée « décoloniale » ne tente-t-elle pas de s’en départir ?

6 Voir des paradoxes dans ces attitudes nous semble relever d’une essentialisation manifeste de ces positions politiques : ainsi, selon Bouteldja, on ne saurait sans paradoxe être conjointement contre l’antisémitisme et contre la colonisation.

7 Pp. 26 et 33-34.

8 Pp. 23, 30 (deux fois), 31 (cinq fois si l’on y associe l’adjectif « innocent »), 34, 38 et 40 en seulement quinze pages, avec un jeu de mots sur « blanchie » p. 25.

9 : « Je n’ai jamais pu dire ‘’nous » en vous incluant. Vous ne le méritez pas. », affirmation dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle est connotée axiologiquement. La suite du paragraphe le corrobore : « Et pourtant, je ne me résous pas vraiment à vous exclure. […] L’exclusion est votre prérogative. » Cette fois, c’est clair, le mal et le racisme sont du côté exclusif des Blancs.

10 « On ne reconnaît pas un Juif parce qu’il se déclare Juif mais à sa soif de vouloir se fondre dans la blanchité », p. 49.

11 « Votre zèle est trahison », p. 50.

12 P. 49.

13 Qui est pourtant le troisième et dernier mot, après « dignité » et « justes », à avoir droit à des capitales, p. 139.

14 « Mon humanité, je l’ai perdue. En 1492 puis en 1830. […] Je n’ai plus qu’une conscience qui réveille mes souvenirs de 1492. », p. 26.

15 P. 13.

16 Cité p. 27.

17 Procédé qui consiste à faire parler un mort, un absent… ou quelqu’un qui n’existe pas.

18 P. 43.

19 Qui seraient donc, en dépit de leur place dans le système capitaliste, irrémédiablement du côté des oppresseurs (?!), il est vrai comme « tampons » entre les capitalistes « blancs » et les « Indigènes ».

20 P. 42.

21 La Grammaire du français de Delphine Denis et Anne Sancier-Château, Livre de Poche, 1994, p. 56, précise : « Dans cet emploi, l’article défini donne de la classe une vision globale et collective » (je souligne).

22 Le paragraphe ainsi construit s’étend sur une pleine page (104).

23 P. 131-132. Là encore, une pleine page.

24 P. 33, 34, 54, 59, 72 et 104.

25 Pp. 9-11.

26 P. 127.

27 On s’étonnera de trouver cette affirmation dans un livre qui se prétend contre l’oppression : n’est-ce pas précisément la définition de toute oppression que d’affirmer qu’il n’y a qu’un maître et d’interdire sa contestation, quelle que soit l’identité (humaine ou transcendante) du maître en question ?

28 P. 132.

29 Expression répétée deux fois p. 133.

30 Alors que le « Malin Génie » est au centre de ses Méditations.

31 P. 30.

32 P. 127.

33 P. 128.

34 P. 31. Je souligne. Le mot « ange » répété six fois à cette page est en effet présenté comme une qualification « blanche » (« Vous êtes des anges parce que vous avez le pouvoir de vous déclarer anges ») que Bouteldja ne reprend pas à son propre compte mais qu’elle cite ici ironiquement ; c’est pourquoi on aimerait savoir qui, précisément, a décidé que les laudateurs de la bombe atomique étaient des anges.

35 P. 59.

36 P. 67.

37 Injonction attribuée à Arnaud Amaury, abbé de Cîteaux, lors du siège de Béziers en 1209.

38 C’est-à-dire qui a remplacé la religion par la médecine.

39 Allusion au slogan du PIR : « Le PIR est avenir ».

Contre la « loi travail », passons à la vitesse supérieure !

La mobilisation contre le projet de « loi travail » se poursuit. C’est évidemment positif, mais malheureusement, des journées de mobilisation une fois par semaine ne suffiront probablement pas pour obtenir le retrait pur et simple de ce projet de loi néfaste.

Il est aujourd’hui nécessaire de construire une mobilisation à la base, ce qui a commencé dans certains endroits, par des Assemblées Générales démocratiques et souveraines, des collectifs de mobilisation, des coordinations. Ce sont ces structures de démocratie directe qui peuvent mettre en place une grève générale efficace, permettant de gagner.

Tout en combattant ce projet de « loi travail », qui serait un recul social, nous n’idéalisons pas pour autant l’actuel code du travail : les droits qui protègent les salariés sont déjà insuffisants. C’est globalement le rapport de forces entre classes sociales qu’il nous faut inverser.

Les travailleurs, les précaires, les chômeurs et les jeunes, nous pouvons empêcher cette régression et mettre en avant d’autres options : le partage du travail (avec la baisse du temps de travail), la solidarité, la hausse des salaires, la lutte contre la précarité. Pour cela, inutile d’attendre que d’autres agissent à notre place ou nous disent comment faire : nous pouvons décider nous-mêmes, pour obtenir le retrait de ce projet et pour mettre en avant ce que nous voulons.

C’est le moment de tenir des Assemblées Générales sur tous les lieux de travail et dans les quartiers, de discuter entre nous de ce que nous voulons faire, d’organiser des coordinations, des collectifs unitaires, de décider nous-mêmes de nos actions.

Poursuivons et intensifions les manifestations, mettons en place une grève générale : contre la régression sociale, contre ce projet de « loi travail », contre la précarité, pour une autre société !

Internationalistes, contre le courant !

C’est le moins qu’on puisse dire, le climat politique actuel n’est pas réjouissant : violences terroristes, violences racistes et antisémites, violences sexistes… la barbarie a le vent en poupe. Ce constat doit pourtant nous inciter à combattre de front toutes ces violences, dans leurs symptômes et dans leurs causes. Face à l’actuel emballement de stupidité et de haine, il nous faut répondre à la fois par la défense de nos valeurs fondamentales – dont l’internationalisme et la solidarité – et en même temps par des perspectives politiques concrètes, par des mobilisations unificatrices sur des bases sociales : des luttes de classe.

Qu’observe-t-on en France ? Dépolitisation et droitisation de la société vont de pair, via les politiques du gouvernement Hollande/Valls, par la domination de préjugés, par l’égoïsme. Cette situation ne doit surtout pas mener au défaitisme, il s’agit de ne pas se résigner face au FN et à ses idées – qui imprègnent, hélas, dans bien d’autres courants politiques. Nous nous opposons donc activement à toutes les mouvances qui acceptent et s’inscrivent dans différentes formes de repli, même celles qui se disent de « gauche ». Etre contre le courant ne nous réjouit pas particulièrement, mais ne nous gêne pas si c’est pour défendre nos convictions, notre perspective d’auto-émancipation mondiale qui correspond à l’intérêt réel de la majorité de l’humanité, en premier lieu les classes travailleuses et populaires.

Pour changer de société, il est indispensable de partir de la réalité actuelle, ne pas se dissimuler le poids des peurs du changement, de la peur de l’avenir. Se répand la croyance à un déclin, avec ses références à un passé imaginaire qui n’a jamais existé et que rien ne ferait naître, mais dont la quête peut avoir des conséquences très concrètes – et très réactionnaires. Nous sommes bien dans « l’impasse de droite » que nous annoncions lorsque Manuel Valls est devenu Premier ministre1. Le progrès de l’extrême droite (FN) lors des dernières élections, en décembre 2015, en est une des manifestations. Cela impose une prise de conscience, une action déterminée contre tous les replis comme contre tous les reculs sociaux, ce qui ne peut pas être mené par ceux qui encouragent des divisions nationales, racialistes, ou autres : de Jean-Luc Mélenchon aux « Indigènes de la République », en passant par des partisans du « protectionnisme » comme Frédéric Lordon, etc. La liste pourrait malheureusement être largement prolongée. L’internationalisme est une base indispensable de la lutte sociale des exploités, qui n’est pas négociable, qu’il n’est pas possible d’abandonner même pour de prétendues raisons de « tactique ». Renoncer à ce principe, même partiellement ou provisoirement, c’est renoncer à l’émancipation, c’est ouvrir la porte aux dérives et au repli.

L’action sociale doit donc reprendre, sur des bases claires et combatives. La récente condamnation à de la prison ferme de 8 anciens travailleurs de Goodyear, dont plusieurs syndicalistes, pour une action dans le cadre d’un mouvement social, est particulièrement révoltante. Cette répression des luttes sociales doit entraîner une riposte unitaire à la hauteur, car la possibilité de la lutte sociale est pour les travailleurs comme l’air qu’on respire : une nécessité absolue.

Le PS au pouvoir mène une politique anti-sociale, hostile au mouvement ouvrier, c’est un fait établi. S’opposer à ce pouvoir est donc la seule option utile, pragmatique et réaliste, mais il s’agit de s’opposer à ce type de politique et non seulement aux individus qui la portent actuellement. Il nous faut aussi apporter une autre perspective : l’auto-organisation à la base pour vivre autrement.

Le chômage, le niveau des salaires, sont les sujets brûlants du moment, sur lesquels il est indispensable de lutter en tant que classe sociale. Ne laissons passer aucune division artificielle entre les travailleurs, les précaires, les chômeurs du monde entier. Quel que soit l’endroit d’où l’on vient, où l’on vit, nous avons les mêmes intérêts et nous pouvons nous rassembler vers le même objectif : la fraternité mondiale des exploités contre toutes les barbaries, toutes les oppressions, toutes les frontières.

1 « Manuel Valls : l’impasse de droite », tract diffusé par Critique Sociale à partir du 2 avril 2014, reproduit dans Critique Sociale n° 31, mai 2014.

Ecole et novlangue

Tribune

La ministre de l’Education nationale Vallaud-Belkacem entendait placer sa réforme sous le signe de la lutte contre les inégalités et contre un système de plus en plus élitiste. Bref, une énième réforme pour « l’égalité des chances ». Voyons un peu.

Inégalité de genre et de sexe, d’abord. Est-il besoin d’y revenir ? La ministre, qui s’est fait une place au sein du PS grâce à son engagement féministe, a reculé lamentablement sur ses fameux « ABC de l’égalité », diluant leurs contenus de la maternelle à la terminale sans aucun programme contraignant. Les enseignant-e-s peuvent aborder les questions de genre s’ils/si elles le souhaitent mais cela n’a rien d’obligatoire. Notons au passage que les formations à ce sujet sont facultatives et que, à ce titre, les enseignant-e-s stagiaires ne bénéficient pas dans les ESPE (IUFM nouvelle formule) de cours là-dessus. En un mot, on ne prêche que les convaincu-e-s.

Un « collège moins élitiste » ensuite. Que le collège soit un grand moment de sélection sociale, et que le choix de l’option latin ou de la classe bi-langue y joue un grand rôle, est incontestable. Est-ce une raison pour tirer un trait sur ces deux enseignements ? Ne devrait-on pas, au contraire, étendre ces disciplines au plus grand nombre ? Vous n’avez rien compris ! Pour rendre le collège moins élitiste, on remplace des heures de français, de maths… par des enseignements « interdisciplinaires », les fameux EPI. Casser les frontières artificiellement étanches que l’Ecole a traditionnellement construites entre les différentes matières est, pédagogiquement et intellectuellement, une bonne idée. Mais, là où le bât blesse, c’est que cela prive les collégien-ne-s d’enseignements nécessaires à leurs apprentissages. Surtout, la répartition de ces heures un peu particulières a lieu à la discrétion des chefs d’établissement : c’est la fameuse « autonomie » des collèges. Ainsi, d’un établissement à l’autre, on pourra bénéficier d’un nombre d’heures de maths passant du simple au double. Gageons que, comme d’habitude, les collèges les plus déshérités utiliseront ces heures pour des « projets innovants » ou pour dédoubler les classes trop chargées alors que ceux du quartier latin trouveront le moyen de les investir pour maintenir leurs élèves sur des rails de trains menant tout droit aux grandes écoles.

En outre, on reprend à la réforme Chatel du lycée le fameux « accompagnement personnalisé », censé certifier un regard personnel et bienveillant sur chaque élève. Or, l’expérience des lycées, justement, montre qu’il s’agit là d’un leurre puisque ce cours a lieu… en classe entière !

Pour mener à bien cette réforme, les réunions vont se multiplier et la participation aux formations ad hoc est rendue obligatoire, sous peine de retrait de salaire. Car l’autonomie, vous l’avez compris, n’est pas celle des enseignant-e-s mais bien celle de leurs chef-e-s. Ainsi, non seulement cette réforme maintient le rôle de sélection sociale du collège, mais elle risque également de départager brutalement les enseignant-e-s doté-e-s de superpouvoirs leur permettant de tenir le rythme du commun des mortel-le-s. Et, surtout, d’accroître encore la mainmise de l’administration sur les fonctionnaires, au détriment de tout exercice de l’esprit critique.

Vous avez dit « esprit critique » ? Autre tarte à la crème de nos gouvernant-e-s depuis les attentats de janvier 2015 : développer « l’esprit critique » des élèves, qui doit leur permettre de devenir des « citoyens autonomes ». Un cours est prévu à cet effet : l’enseignement moral et civique (EMC). De quoi s’agit-il exactement ? D’une heure hebdomadaire qui remplace point par point l’éducation civique qui lui préexistait. Rien de bien neuf, donc. Si : il est vrai que certaines filières, au lycée, ne bénéficiaient pas d’un tel enseignement. C’est désormais chose faite. Cependant, cela ne fait pas l’objet de dotations horaires spécifiques, ce qui contraint le conseil d’administration des lycées à surcharger les classes ou à réduire le nombre de dédoublements. En un mot, on aiguise l’esprit critique des élèves en organisant des débats à 35.

Mais, d’ailleurs, qu’entend-on par « esprit critique » ? Jetons un œil aux programmes d’EMC : respect de l’autorité, amour de la république… Il est d’ailleurs prévu une « réserve citoyenne » pour aider les enseignants à diffuser ces idées. Il s’agit d’enseignant-e-s ou d’intervenant-e-s passé-e-s maîtres dans la maîtrise de la rhétorique de ces « empêcheurs de penser en rond » que sont Caroline Fourest ou Alain Finkielkraut (!). Ah bon, vous ne les trouvez pas aptes à interroger les élèves ? C’est que vous n’avez vraiment rien compris à cette merveilleuse République menacée de toutes parts pour son indépendance d’esprit ! Et, tant il est vrai qu’est par nature doté d’esprit critique celui ou celle qui pense comme moi, les élèves qui perturberaient d’une façon ou d’une autre la minute de silence du 16 novembre devront être dénoncé-e-s au chef d’établissement.

Lutte contre les inégalités, autonomie, esprit critique… Autant de mots passe-partout que les gouvernements de droite comme de gauche utilisent pour leur pouvoir de séduction et leur vide sémantique. Il s’agit là d’une véritable manipulation du langage à des fins propagandistes qui mériterait une analyse en profondeur. Il nous faut de toute urgence refuser ce brouillage et proposer une contre-offensive idéologique à la hauteur des enjeux.

Clélie.

Quand l’exception devient la règle

Tribune 

13 novembre 2015. Larmes, cris, agitation. Coups de fil aux proches. Apaisement ou, à nouveau, larmes et cris. Fin de soirée. Allocutions télévisées des uns et des autres. « On ouvre trop les frontières », dit Estrosi. « C’est la France qui est touchée dans ses libertés », dit Hollande. Dont acte : pour sauver les libertés de la France et de ses habitants, on va les priver de leurs libertés. On a un nom pour cela : « l’état d’urgence ». Manifs interdites. Ordre est donné aux enseignant-e-s de dénoncer le lundi suivant tout-e élève qui ne respecterait pas la minute de silence. Chacun est prié de pleurer encore et encore, de clamer haut et fort de ne « pas avoir peur » tout en affirmant que « la présence des militaires, partout dans Paris, est rassurante ». Qu’importe si c’est en 1955, en pleine guerre d’Algérie, qu’est née cette notion. Qu’importe si cela permit l’interdiction des manifestations du 17 octobre 61 et du 8 février 62, avec les conséquences que l’on sait. Et puis, au passage, on arborera des drapeaux tricolores. Profils « Facebook », balcons, écoles… Tout se couvre de fanions.

Jusqu’à quand l’« état d’urgence » ? Petit à petit, comme l’oiseau fait son nid, la « résistance » s’organise : on lève l’interdiction de manifester, mais bon, attention tout de même. D’ailleurs, la COP 21 vient à point nommé : des fois qu’un dangereux écolo vienne y mettre son grain de sel, on prend des mesures pour le tenir à distance. Va pointer ci, va pointer là. Ca perturbe ta vie quotidienne ? Eh ! Fallait pas jouer les rebelles ! Allons même plus loin qu’en 1955 : l’ouverture de centres de rétention pour personnes « présentant des risques de dangerosité » est soulevée.

Comme prévu, les pouvoirs accrus de la police donnent aux fonctionnaires de l’Intérieur un léger complexe de supériorité : 500 assignations à résidence, 3000 perquisitions administratives entre le 13 novembre et fin décembre. Pour arrêter des terroristes ? Allons bon ma p’tite dame ! La loi prévoit son extension à toute association qui « porterait atteinte à l’ordre public ». Et puis, bientôt, il va falloir lever ces mesures exceptionnelles. Question de constitution. Ou alors, on pourrait changer la constitution ? Comment faire ? Rhétorique, rhétorique ! On crée une distinction entre « la cessation du péril », qui devrait entraîner ipso facto la levée de l’état d’urgence, et « le risque d’actes terroristes », qui peut sembler éternel. Qui peut jurer que nul n’aura désormais l’idée de tirer sur une foule ou de déposer une bombe ? Bon, rassurez-vous : notre liberté a un berger. Il s’appelle le conseil d’Etat. Certes, il est fait d’énarques sortis de la même cuisse divine que nos ministres mais, soyons sérieux, on ne va pas laisser les moutons – pardon, la population – prendre ce genre de décisions.

Alors, entre gens sérieux, on peut se le dire : la distinction entre « péril » et « risque » est un peu… subtile. Mais le nouveau projet de loi constitutionnelle autorise désormais l’Etat à proroger l’état d’urgence. Ca valait bien la peine de faire le coup des synonymes ! Alors, au passage, selon une méthode bien connue, on brandit de nouvelles mesures dont on avoue qu’elles ne sont que « symboliques », avec l’espoir de détourner sur elles l’attention des militant-e-s. La droite proposait de déchoir de sa nationalité tout-e « binational-e » « en lien avec une entreprise terroriste » ? La gauche va le faire ! Peu importe si, en réalité, des dispositions approchant existent déjà : le chiffon rouge fonctionne et une bonne partie de la gauche non gouvernementale y fonce tête baissée. Olé ! Entendons-nous bien : que des dispositions proches, comme la privation des droits civiques, existent déjà ne légitime en rien une telle proposition. Mais le piège consiste à considérer chaque élément de ce dispositif séparément au lieu de l’attaquer comme un arsenal législatif solidaire et cohérent.

Second piège dans lequel tombent également quelques taureaux : la dénonciation de ce projet de loi au nom d’une conception essentialiste de la France ou de la république. Ce sont les discours de type « c’est contraire à la tradition d’accueil de la France » (parlez-en aux immigrés portugais et italiens du XXe siècle !), « la République française, c’est la liberté » (comme si elle n’avait pas longuement interdit le regroupement d’ouvriers et les grèves). Non, nous ne combattons pas l’état d’urgence au nom d’une « Idée » de la République ou de la France et nous affirmons que « France » et « République » ne sont jamais que des mots, susceptibles d’acceptions très diverses. Nous combattons l’état d’urgence au nom de nos libertés, libertés concrètes et non idéales : notre droit de nous regrouper, de manifester pour améliorer nos conditions de vie et de travail, de dormir sans craindre d’être éveillé-e-s en pleine nuit par la police, notre droit d’être défendu-e-s en cas d’inculpation, d’entrer et de sortir librement du territoire.

Troisième piège et non le moindre : dissocier de cet arsenal la guerre sanguinaire qui se déroule en Syrie au nom de libertés supérieures. Certes, on ne peut que se reconnaître dans le slogan « ni Daesh, ni Bachar El-Assad ». Mais, si j’ai une conviction, c’est bien qu’une politique intelligente ne saurait non plus se résumer à un slogan ou à une alternative binaire. Les guerres passées ont montré que de telles interventions sont le terreau des guerres et du terrorisme de demain. Face au fascisme, français, chrétien ou musulman, une seule réponse : la lutte internationale de tous-tes les travailleur-se-s pour leurs libertés.

Clélie.

Contre les peurs et les haines, par la lutte sociale

Plus de deux semaines après le 13 novembre, nous sommes encore bouleversés par la violence terrible des attentats, les très nombreuses victimes assassinées, et la détresse de leurs proches. Mais aussi, nous constatons qu’un sentiment de solidarité a spontanément saisi une grande partie de la population.

L’attitude gouvernementale n’en est que plus condamnable : profiter de l’émotion pour faire passer l’état d’urgence d’une durée de trois mois, voire même un projet de révision dans la panique de la constitution, est indigne. Les conséquences de cette politique n’ont pas tardé à se révéler : perquisitions et assignations à résidence arbitraires pour des militants écologistes et d’extrême gauche, manifestations interdites, etc. Avoir subi un choc n’est pas une excuse pour une fuite en avant dans une impasse. Surtout que tout au bout de l’impasse, il peut y avoir la barbarie.

Nous devons briser ce cercle vicieux où la haine entraîne la haine. On le voit malheureusement avec ces attentats commis par Daesh, groupe d’extrême droite islamiste qui massacre au nom de son idéologie sectaire, attentats qui tendent à renforcer en France le FN, parti d’extrême droite qui attise les peurs et les haines. Alors que la barbarie de Daesh s’exerce de façon sanglante principalement en Irak et en Syrie, on ne peut pas oublier le rôle mortifère de la guerre de 2003 à l’initiative de George Bush, qui a créé le chaos sur lequel ce groupe prospère. C’est ce que des centaines de milliers de manifestants dans le monde avaient déjà dit à l’époque. Les stratégies impérialistes se révèlent criminelles, leurs conséquences tragiques s’étalent sur des durées extrêmement longues. Il est donc indispensable de sortir de ces cycles de la terreur, ce qui passe par la nécessité de la lutte sociale contre les impérialismes là où nous nous trouvons. Cela ne doit évidemment pas conduire à atténuer ou relativiser la responsabilité des groupes comme Daesh, qui portent la responsabilité de leurs crimes.

Notre détermination à l’ouverture des frontières est encore renforcée, quand tant d’exilés tentant d’échapper à Daesh, à Bachar el-Assad, etc., cherchent un refuge que trop souvent les Etats leur refusent. L’accueil des réfugiés dans des conditions dignes, avec du personnel d’accompagnement formé et des logements adéquats, est une nécessité immédiate.

Internationalistes, marxistes, féministes, nous combattons l’intolérance et les discriminations, nous défendons la liberté et l’égalité humaine partout dans le monde. Ces principes sont à mettre en avant partout, face à tous ceux qui les bafouent. En particulier, il y a aujourd’hui la nécessité de combattre l’extrême droite islamiste par nos propres moyens, notamment la solidarité de classe, la fraternité des travailleurs (par exemple par un soutien du mouvement ouvrier aux forces progressistes qui affrontent Daesh). Or, les choix gouvernementaux vont à l’encontre de cette perspective. La liberté de manifester est notamment un principe fondamental, il est dès lors parfaitement légitime de maintenir des manifestations même lorsque l’Etat français en a décrété l’interdiction. C’est pourquoi il est nécessaire de se mobiliser pour la levée immédiate de l’état d’urgence, l’arrêt de la répression des mouvements sociaux, des poursuites judiciaires et des assignations à résidence contre les militants. C’est parce que les luttes sociales progressistes pourront être puissantes, susciter l’auto-organisation à la base, obtenir des victoires, que la conscience de classe pourra remplacer la peur et le réflexe de repli.

C’est dans cette situation de crises multiples qu’il est plus que jamais nécessaire de mettre en avant l’objectif concret d’une autre organisation sociale, basée sur la coopération et non plus la compétition, où la production serait déterminée par les besoins de tous et non les profits de quelques uns. Qu’on l’appelle socialisme, communisme, ou autrement, c’est pour cette société d’auto-émancipation généralisée que nous luttons et continuerons de lutter, en combattant les conservateurs et tous les réactionnaires sur nos propres bases d’indépendance de classe.

Contre tout chauvinisme et toute germanophobie

Tribune :

Contre tout chauvinisme et toute germanophobie

Pour une déconstruction internationaliste du « miracle économique allemand »

Il est de bon ton depuis quelques temps, dans une gauche qui, dans l’espoir de grimper dans les sondages et les résultats électoraux, se dit « radicale », de prendre le contre-pied du dogme selon lequel l’Allemagne, au contraire de la France, aurait réussi à « se moderniser » et, partant, à laisser sur le bord de l’autoroute du développement ces pays « archaïques » que seraient la France et, bien davantage encore, l’Italie, l’Espagne et la Grèce.

Certes, il convient à tout militant de gauche, et plus encore de la gauche révolutionnaire, de tordre le cou à ce qui est bel et bien devenu une religion sécularisée. Néanmoins, cette déconstruction ne peut se faire que de façon raisonnée, libre de tout chauvinisme et dans une optique clairement internationaliste. Rappelons en effet qu’une révolution véritablement ouvrière ne peut être qu’internationale et qu’il est du devoir des militants qui s’en réclament de montrer qu’un travailleur français a davantage de points communs avec un travailleur allemand qu’avec un capitaliste français. Sans ce rappel, hélas aujourd’hui nécessaire, nous courons le risque de voir définitivement se substituer à la conscience de classe une conscience « nationale » pour le moins inquiétante et dangereuse.

Le tribun Jean-Luc Mélenchon, pour ne citer que lui, n’a en effet de cesse de confondre ces deux identités en jouant sur la polysémie du mot « peuple », comme l’ont fait avant lui le PCF, dès l’entre-deux-guerres, mais aussi l’extrême-droite. Ce terme revêt en effet deux sens : celui de « nation » en tant que population née sur un territoire donné et celui de la « plèbe », par opposition à l’élite (aristocratique ou bourgeoise). On voit la commodité qu’offre cette ambiguïté aux démagogues d’extrême-droite, prétendant agir au nom du « peuple français », c’est-à-dire d’une entité confuse qui se définirait par la négative, à savoir le refus des élites et du « cosmopolitisme », souvent confondus dans le raccourci suivant : « les élites cosmopolites ». Cette phraséologie avait le vent en poupe dans la France des années 1930 et on aurait pu la croire disparue, en tous cas à gauche, si le triste sire dont il a été question au seuil de ce paragraphe n’avait accusé, il y a deux ans, Pierre Moscovici de personne qui « ne pense pas français, qui pense finance internationale », dressant ce faisant un amalgame entre « finance » et « internationalisme ». Il nous semble qu’il est suffisamment de points sur lesquels on peut attaquer Moscovici pour ne pas avoir à user de ces « arguments » chauvins.

Il en va exactement de même de la question de l’économie allemande : point n’est besoin de dresser un continuum entre Bismarck et Merkel – on attend le moment où le leader du « Parti de gauche » osera un parallèle avec certain chancelier moustachu – pour dénoncer le cache-sexe et les sous-entendus idéologiques que cache l’ode rebattue au miracle allemand. Oui, les travailleurs allemands ne vivent pas mieux que les travailleurs français. Est-il pour autant besoin de brandir comme « preuve » le fait que « les Allemands ne font pas d’enfants » (le lecteur appréciera la qualité intellectuelle de l’argumentation)1 ? Etonnons-nous au passage du fait que, si la fécondité des Allemandes est en effet plus faible que celle des Françaises (1,44 pour 2,08), elle est comparable à celle des Italiennes et des Grecques (respectivement 1,43 et 1,42)2 et que cela ne semble pas amener ce preux défenseur des opprimés à en tirer les mêmes conclusions. Là encore, il semblerait qu’à défaut de savoir développer une argumentation digne de ce nom, Mélenchon soit condamné à tabler sur une germanophobie primaire.

Las. Nous l’avions indiqué en introduction : malgré les amalgames douteux d’une rhétorique que l’on aurait préféré voir réservée à Marine Le Pen et consorts, il est une nécessité d’examiner de près le sort des travailleurs allemands, avec ou sans emploi.

Si le taux de chômage en Allemagne est bien plus faible qu’en France (4,5% pour la première contre 10,8 pour la seconde), la raison – et la conséquence – n’en est certes pas une économie plus favorable ou un niveau de vie meilleur. Les « Minijobs » ont en effet envahi le marché du travail allemand depuis dix ans (17% de la population active), se substituant à un contrat de travail plus respectueux du salarié et contraignant celui-ci – et plus souvent celle-ci – à accepter un salaire de misère. Cet « emploi » est alors souvent utilisé comme salaire d’appoint dans les couples et, en raison de l’organisation sexuelle du travail et des tâches ménagères dans nos sociétés, réservé aux femmes. Celles-ci cumulent alors deux sources de déconsidération sociale : d’une part, le fait que leur principal rôle au sein du ménage est ce « travail invisible » que sont les tâches ménagères et l’éducation des enfants ; d’autre part, le fait qu’elles sont obligées d’accepter un emploi très mal rémunéré, non pérenne et souvent sans rapport avec leurs qualifications. De là à conclure que les Allemands seraient par nature sexistes3, il y a un gouffre que seul un germanophobe dénué de toute connaissance en histoire politique oserait franchir ! Les Allemandes n’ont-elles pas obtenu le droit de vote en 1918, contre seulement 1944 pour les Françaises ? Il s’agit là d’une lecture pour le moins essentialiste et naturaliste de faits purement économiques.

Les lois de l’ancien ministre de l’économie Hartz forcent également tout demandeur d’emploi à accepter n’importe quelle offre, qu’elle soit ou non en rapport avec ses qualifications ou son domaine de compétences. Il s’agit là d’un traitement punitif du chômage et des chômeurs, comme si la cause n’était pas l’organisation sociale du travail mais la supposée « paresse » du chômeur. Le taux de chômage s’en trouve, bien entendu, mécaniquement réduit. Ces différentes réformes économiques s’accompagnent d’un renforcement de ce que le Medef et ses valets nomment « flexibilité » : un même salarié d’une même entreprise pourra, en fonction des besoins de son patron, avoir un temps de travail passant du simple au double. Or, comme il est hors de question pour ce patron de le payer « à ne rien faire », son salaire pourra également osciller du simple au double. Allez convaincre un propriétaire de vous louer un logement dans ces conditions4 !

Cette gestion des salariés comme de jouets que l’on peut à son gré remiser dans un coffre et reprendre au moment opportun n’a rien de naturellement allemand : c’est ainsi qu’agissait l’ensemble des patrons européens au XIXe siècle, qui embauchaient à la pièce ou à la journée. Et, de nos jours, c’est ce que réclame cette institution hexagonale qu’est le Medef, avec le soutien de son ambassadeur Emmanuel Macron. Ce sidérant retour du paiement à la tâche, comme au XIXe siècle, n’est ni allemande, ni française : elle illustre ce qu’on appelle « l’uberisation » de l’économie, qui n’est que le stade ultime des coups portés par le capitalisme financier, cupide de ses dividendes à court terme, contre les travailleurs, quels qu’ils soient et où qu’ils soient, en Europe, en Amérique ou en Asie.

Petite précision nécessaire à l’intelligence de ce « miracle économique » : en baissant les salaires et les protections sociales, Schroeder et Hartz ont mécaniquement augmenté la part du sur-travail, et donc de la plus-value. Pour autant, cela ne signifie pas que les travailleurs d’Allemagne – allemands ou non – vivent mieux que les travailleurs et chômeurs de France. Cette analyse n’a pas donc les seuls intérêts suivants, pourtant primordiaux en eux-mêmes : se battre contre la fin annoncée du droit du travail et affirmer sa solidarité avec les travailleurs qui, de l’autre côté du Rhin, en prennent plein la tête depuis plus de dix ans. Il s’agit également de lutter pour une définition ouvrière5 d’une économie qui fonctionne : c’est une économie qui permet au gros de la population de vivre au-delà du décent, avec un accès aux loisirs, aux sports et à la culture, sans que le travail ne l’use précocement, et qui répartit l’ensemble des tâches, agréables ou ingrates, auprès de tous. A ce titre, si l’on regarde la crainte des travailleurs d’Allemagne de se retrouver sans aucune ressource, à n’en pas douter, l’économie allemande est en crise. Est-ce à dire que ce serait la faute d’un « Volksgeist 6» allemand ? Rien n’est moins sûr, puisqu’on retrouve ces mêmes enjeux outre-Atlantique et, il est vrai pour l’instant dans une moindre mesure, en France.

Si je ne craignais d’être grandiloquente, je conclurais en disant que toute analyse de l’économie allemande, comme de toute économie, doit garder à l’esprit que les travailleurs de tous les pays sont frères parce qu’ils sont, fondamentalement, soumis aux mêmes contraintes. Prétendre le contraire est réactionnaire et contre-révolutionnaire parce que cela tue toute conscience de classe pour la remplacer par une « conscience nationale », préparant de fait sinon en esprit de futures guerres nationales et faisant avorter dès à présent toute révolution internationale.

Clélie.

Je ne vois aucune frontière. Et vous ?

1 La source de cette citation est bien entendu cet ouvrage remarquable par sa mesure et sa réflexion intellectuelle qu’est Le Hareng de Bismarck, pamphlet qui développe l’idée que les Allemands ne sauraient pas vivre puisque « le vin est souvent le meilleur instrument de mesure du niveau de culture d’un peuple » et que, comme chacun sait, ces « barbares » d’Allemands préfèrent la bière ! (Plon, 2015, p. 47).

2 Source : www.statistiques-mondiales.com/taux_de_fecondite.htm

3 Toujours le même bestseller (« Tout cela s’enracine dans la culture profonde de l’Allemagne sur le sujet », p. 54) !

4 On notera à ce sujet l’importance du recours à la colocation en Allemagne, qui n’est pas réservée aux étudiants ou aux jeunes travailleurs.

5 Au sens de « propre aux salariés ».

6 Terme de Herder désignant un « génie national », une pensée propre à un « peuple » dont, en tant que matérialistes et internationalistes, nous récusons l’existence.

Le changement climatique ne s’arrêtera pas aux frontières

On le sait, il y a urgence à agir en faveur de l’environnement. Mais quelques mesures ponctuelles ne suffiront pas, tant qu’on ne transformera pas la société actuelle dans ses principes mêmes : la production en vue des profits et non des besoins sociaux, l’accumulation de toujours plus de marchandises. Pour vraiment changer les choses en matière d’écologie, il faut sortir du mode de production capitaliste, productiviste et hiérarchique, qui exploite les êtres humains et la nature.

Nous sommes face à un problème mondial, qui ne peut être résolu que mondialement. Les solutions à la crise économique comme à la crise écologique ne pourront être ni capitalistes, ni nationales. Ni un nuage radioactif, ni le changement climatique ne s’arrêtent aux frontières. Un véritable internationalisme est donc absolument indispensable.

Les choix politiques et budgétaires actuels vont à l’encontre de ce qu’il faudrait faire, notamment augmenter les moyens pour la recherche. On poursuit le gaspillage d’énergie, on continue à rester enfermés dans le dogme du nucléaire, et à dépenser des milliards tous les ans pour un armement atomique qui pourrait détruire l’humanité.

Contre ces impasses, nous pouvons faire le choix de l’écologie sociale, anticapitaliste, qui passe par l’appropriation collective des choix de société. Le capitalisme est un système destructeur, qui ne doit pas non plus être remplacé par un capitalisme d’Etat comme en a connu le 20e siècle, par des régimes qui ont été désastreux tant d’un point de vue écologique qu’humain. Au contraire, une démocratie réelle, une autogestion pour produire autre chose et autrement, est possible et nécessaire.

En s’organisant, les travailleurs, les précaires, les chômeurs et les jeunes, nous pouvons créer une autre organisation sociale, démocratique, égalitaire et pacifiée, où l’entraide remplace la compétition, avec un rapport différent à la nature. Une première mesure serait par exemple de mettre en place à grande échelle des transports en commun écologiques, de qualité et gratuits.

La solution pragmatique aujourd’hui, c’est l’auto-organisation pour prendre en mains nos affaires, pour nous occuper collectivement, démocratiquement de notre environnement de façon rationnelle et non plus pour le bénéfice de la classe capitaliste. Organisons-nous pour produire et vivre autrement !

Grèce : l’échec programmé du souverainisme

De nombreux militants progressistes se sont réjouis de la défaite des forces de droite et de « gauche » qui se sont succédées au gouvernement en Grèce depuis quarante ans. Corrompues, incapables de faire mieux que dilapider les subsides de l’Union Européenne (UE) pour faire vivre à crédit un État impuissant à collecter les impôts des classes privilégiées, ces forces qui appliquaient sans rechigner les mesures d’austérité imposées à un pays qu’elles avaient elles-mêmes ruiné ont été balayées et c’était une bonne chose. Mais la force politique qui a remporté les élections et qui a gouverné la Grèce depuis janvier ne l’a mené nulle part ailleurs que vers plus de déception et d’austérité. La soi-disant « gauche radicale » au pouvoir à Athènes n’a de gauche que le nom, et est surtout en train de devenir parfaitement ridicule. Cela était prévisible, parce que son programme, ses pratiques politiques et ses allégeances internationales n’ont rien à voir avec la gauche, l’émancipation ou le socialisme international, ni de près, ni de loin. Syriza est un mouvement souverainiste, et le souverainisme est une idéologie politique de droite et sans avenir. Bref, à nouveau, une partie de la « gauche de la gauche » en France et ailleurs a prouvé son opportunisme et son incapacité à comprendre les enjeux internationaux pour les uns, son souverainisme nationaliste pour les autres au Front de Gauche. Il revient aux communistes révolutionnaires d’expliquer comment cette réalité sombre s’est mise en place et de proposer d’autres perspectives pour les travailleurs en Grèce, en France et ailleurs.

La population grecque a donc voté en masse pour Syriza l’hiver dernier, le cartel électoral dit « de la gauche radicale ». Alors que partout dans le monde des militants de gauche et d’extrême-gauche se sont réjoui de la défaite de la droite libérale qui, alliée à un parti « socialiste » andropausé, a mené une des pires politiques d‘austérité, nous pensions qu’il fallait raison garder et ne pas voir la victoire de Syriza comme une avancée politique pour les travailleurs et la population de Grèce ou d’ailleurs. La politique de Samaras allié au Pasok était criminelle et sa défaite fut une bonne nouvelle, mais les choix politiques de Syriza ne pouvaient pas mener au socialisme, ni même à une amélioration radicale de la situation des habitants de la Grèce ou du reste de l’Union européenne. Tout simplement parce que Syriza est un mouvement souverainiste qui envisage son action au niveau national, et qu’il n’y a aucune solution nationale viable, ni de droite, ni « de gauche ». Et aussi parce que Syriza n’est rien d’autre qu’un parti politique traditionnel, un cartel électoral dont la pratique politique n’a que peu à voir avec la démocratie vivante d’un mouvement social. National et bureaucratique, ce parti n’a rien apporté de radicalement nouveau, et il a même échoué lamentablement sur son propre programme, pour finir par mener la même politique que Samaras en un peu moins horrible. C’est le rôle des luxemburgistes, des communistes révolutionnaires et internationalistes, que de rappeler que le changement social se construit dans les luttes, à la base et non au sein des directions bureaucratiques.

Ce n’est pas un gouvernement qui décrète le socialisme, ou même le début d’un changement politique progressiste. Ce sont les travailleurs et la population mobilisés qui sont les acteurs de la transformation politique. Ce n’est pas un gouvernement national qui peut changer les rapports de force au sein d’une union politique de 28 États, ce sont les populations et les travailleurs de toute l’Union européenne qui peuvent arrêter les politiques d’austérité. Or jamais Syriza n’a fait appel au mouvement populaire, à la grève, aux manifestations, ni en Grèce, ni ailleurs. Le référendum de juillet – inutile puisque trahi immédiatement – ne fut rien d’autre qu’un coup politicien.

Le gouvernement de Syriza, c’était un Mélenchon en plus jeune et sans cravate, allié avec un genre de Dupont-Aignan, un souverainiste de droite, pour tenter de remettre en cause localement la politique décidée par tous les gouvernements de l’UE. En plus le Dupont-Aignan local Panos Kamménos est carrément antisémite, et Syriza totalement pro-Poutine face à la guerre civile ukrainienne, dans un axe orthodoxe qui n’a rien à envier aux alliances chiite ou sunnite du Moyen-Orient. Voilà l’attelage qui a fait fantasmer certains à gauche et à l’extrême-gauche… Parce que l’internationalisme n’a actuellement pas le vent en poupe, parce que l’époque est au repli identitaire et au nationalisme, certains se disent qu’il faudrait aller « chercher les masses là où elles sont », dans les tendances souverainistes « de gauche ». Et pourquoi pas à droite, voire à l’extrême-droite, pendant qu’on y est, comme le propose d’ailleurs Jacques Sapir ? Syriza n’est pas la panacée, et le travail militant internationaliste passe par la critique de ces illusions. Maintenant que Syriza a piteusement perdu et mendie un Nème prêt austéritaire à la Troïka, que l’aile « gauche » nationaliste et souverainiste a scissionné, il importe d’affirmer à nouveau quelques éléments politiques simples.

Les dirigeants de l’UE et les gouvernements pour lesquels ils travaillent ont imposé à la population des pays endettés, et particulièrement à la Grèce, une politique d’austérité totalement inacceptable. Les effets de cette pression sont déjà parvenus à un niveau intolérable : il suffit de dire que l’accès à la santé en Grèce a notablement diminué pour comprendre ce que veut dire réellement le mot « austérité ». Mais en quoi la sortie de la Grèce de l’euro, voire de l’Union européenne pourrait-elle représenter un « progrès » ? En quoi l’aventure solitaire d’un pays ruiné serait-elle une solution ? Les travailleurs et chômeurs en Grèce ont-ils quoi que ce soit à gagner dans le fait de se retrouver à compter des drachmes dévaluées, enfermés dans « leurs » frontières avec les mêmes classes dirigeantes qui les ont menés dans l’abîme ? Et ceux des autres pays de l’UE ou du pourtour méditerranéen, qu’auraient-ils eux aussi à gagner du départ d’un ou plusieurs pays de l’Union ?

Non, tout ceci n’a rien à voir avec le progrès ou avec la gauche. Ce qui serait progressiste, ce serait d’envisager les problèmes auxquels font face les travailleurs et les populations d’Europe au niveau où ils se posent, c’est-à-dire au moins au niveau de l’Europe. Il y a bien des conflits au sein de l’UE, des rivalités entre les pays, mais la véritable tâche des révolutionnaires, c’est de pointer le fait que la conflictualité se joue en réalité entre les gouvernements, les institutions et les classes pour lesquelles ils travaillent d’un côté, et les travailleurs et les classes populaires d’Europe de l’autre. Vouloir vingt-huit petits théâtres pour jouer la farce du souverainisme et se retrouver avec vingt-huit nationalismes (au moins !), le tout sur un continent déjà ravagé par les guerres depuis plus de deux siècles n’est pas une idée progressiste. Si l’Europe doit se diviser c’est en deux, entre ceux qui veulent infliger l’austérité aux travailleurs et aux populations d’Europe, et ceux qui veulent s’organiser au niveau syndical, social et politique au moins au niveau de l’UE pour s’opposer à l’austérité et aller vers le progrès social.

La faiblesse de Syriza face à l’UE et aux gouvernements européens, ce n’est pas la faiblesse de la Grèce, ce n’est pas un problème grec, c’est la faiblesse politique des travailleurs au niveau de l’UE. Gageons que le refus de la rigueur ou de l’austérité au niveau européen, par les travailleurs en Allemagne, en France et en Italie dont le pouvoir d’achat s’est érodé depuis quinze ans, dans des formes coordonnées et internationales, donnerait une autre force aux travailleurs en Grèce face à la Troïka. La pression sur les salaires en Allemagne depuis les plans Schröder des années 2000 est une partie de l’équation qui a abouti à la crise de la dette en Europe, par la concurrence à la « compétitivité ». Ce dont nous avons besoin pour sortir de cette crise, ce n’est pas de souverainismes et d’impasses nationales, mais d’internationalisme à la base et de conflictualité « européenne ». Nous avons besoin de poser au sein de l’UE, non comme institution mais comme espace réel, ouvert, les questions sociales, environnementales et politiques de l’heure.

La lutte « pour la Grèce » commence par la lutte contre l’austérité ici et maintenant, contre les lois Macron et la destruction du code du travail. C’est sur cette base de mouvements réels que nous pourrons construire un mouvement social européen et envisager de changer radicalement la donne en Europe et autour de la Méditerranée. Sans comités anti-austérité ouverts aux sans-parti, sans luttes sociales coordonnées, sans combat international des travailleurs, il n’y a rien.

En Grèce et ailleurs, combattons l’austérité capitaliste !

Un spectaculaire rebondissement vient de se produire concernant la situation économique de la Grèce : le chef du gouvernement, Alexis Tsipras, a interrompu les négociations en cours avec l’Eurogroupe (c’est-à-dire les 18 autres Etats membres de la zone euro) et a appelé à un référendum le 5 juillet, en demandant de voter contre les propositions des créanciers de la Grèce. Le plan en discussion, nouvelle dose d’austérité, était en effet inacceptable.

Mais il ne faut pas en rester aux apparences. Ce n’est pas un « problème grec ». La situation actuelle est une conséquence de la crise capitaliste en cours depuis 2007-2008 et de sa gestion au sein de l’Union européenne, sur la base de deux dogmes : l’austérité et le remboursement des dettes publiques. On en connaît les conséquences : de terribles reculs sociaux, la hausse des inégalités, et accessoirement une forte augmentation des dettes publiques qu’on prétendait justement faire baisser.

Le refus par les travailleurs de Grèce – et de toute l’Europe – de l’austérité est une nécessité, référendum ou pas. Néanmoins, la sortie de l’euro ne résoudrait pas la situation de la Grèce. Pire, la dévaluation de la nouvelle monnaie « nationale » pourrait avoir des effets catastrophiques pour les plus pauvres. Par ailleurs, que des travailleurs en Grèce votent oui, non, ou s’abstiennent lors du référendum, ce qui pourrait réellement changer les choses, ce serait leur auto-organisation à la base, pour prendre les choses en main hors du cadre capitaliste et étatique. Le gouvernement de Syriza n’est qu’un gouvernement bourgeois « de gauche » et, s’il s’oppose effectivement à l’austérité aujourd’hui, ce n’est en revanche pas lui qui changera radicalement les rapports sociaux, mais les travailleurs eux-mêmes. Il faut se méfier des expressions abstraites comme « les Grecs » ou « le peuple grec » : il y a en fait différentes classes sociales. Notre solidarité va aux classes populaires en Grèce – quelle que soit la nationalité de tel ou tel – et absolument pas aux capitalistes et bureaucrates qui sont en grande partie responsables de l’actuelle situation sociale dramatique. Nous ne pouvons céder à aucune des variantes du nationalisme, même si on l’appelle « souverainisme » ou « patriotisme », qui ne sont pas des solutions mais font partie du problème. Il n’y a aucun avenir pour aucune solution « nationale », ni en Grèce, ni en France, ni ailleurs. Les travailleurs et les classes populaires de Grèce n’ont rien à gagner à s’enfermer dans des frontières pour compter avec leurs patrons des brouettes de drachmes dévaluées. S’il faut, à coup sûr, refuser toute austérité, résister aux sirènes du souverainisme reste un impératif.

La mobilisation doit donc dépasser les frontières. Combattons l’égoïsme et la défense des banques par les gouvernements de l’Union européenne. Il ne s’agit pas de s’en remettre à un gouvernement, mais de créer une action commune des travailleurs et précaires en Europe et dans le monde, contre l’austérité et pour la répudiation des dettes publiques :

– par la solidarité directe du mouvement ouvrier des différents pays avec les travailleurs en Grèce ;

– par la lutte contre les plans d’austérité dans tous les pays (pour le retrait du « pacte de responsabilité » et de la loi Macron en France par exemple) ;

– par la construction d’une mobilisation simultanée au sein de tous les pays d’Europe, de type grève générale, contre les politiques au service du capitalisme, permettant de créer un espace de démocratie directe à la base. Il faut pour cela rompre avec les institutions capitalistes et étatiques, qu’elles soient européennes ou nationales.

Solidarité avec les travailleurs, les précaires, les chômeurs et les jeunes en Grèce et ailleurs, qui subissent l’austérité et la violence capitaliste ! Riposte internationaliste auto-organisée !

Liberté pour Alexandr Koltchenko, manif le 30 juin

Liberté pour Alexandr Koltchenko, antifasciste de Crimée kidnappé et emprisonné par l’Etat russe !

A. Koltchenko est étudiant et militant syndical ; il travaillait aussi comme postier, en parallèle de ses études. Il défend activement, par sa pratique, le droit de s’organiser librement, le droit de créer et faire vivre des organisations associatives, syndicales, écologistes ou politiques. Il fait partie des hommes et des femmes qui luttent contre l’extrême droite, qu’elle soit ukrainienne, russe ou autre. Parce qu’il lutte contre la corruption et pour l’égalité des droits entre tous et toutes, A. Koltchenko est la cible des clans oligarchiques, en Russie, en Ukraine.

Depuis plusieurs années, A. Koltchenko est connu en Crimée pour ses engagements antifascistes, syndicaux, anarchistes, écologistes. Ayant diffusé un film sur l’assassinat de la journaliste indépendante criméenne Anastasia Baburova, à Moscou en 2009, il avait déjà été attaqué au couteau par une bande fasciste. Il a poursuivi ses activités militantes en faveur des droits humains et a ainsi participé, dans le camp clairement antifasciste, aux manifestations de la Place Maïdan qui ont abouti à chasser le président ukrainien Ianoukovytch, dont le clan pillait les richesses et exploitait la population de ce pays.

Lors de l’intervention militaire russe en Crimée, Alexandr Koltchenko a organisé des manifestations pacifiques de protestation contre l’occupation militaire, qui a faussé le référendum, aux côtés de citoyens et citoyennes tatar-es, ukrainien-nes ou russes. Quelques jours avant une de ces manifestations, la police politique russe (FSB) a enlevé plusieurs des organisateurs de ces résistances populaires ; ce fut le cas d’A. Koltchenko, le 16 mai 2014. Avec trois autres personnes ainsi kidnappées, il a été accusé notamment « d’organisation d’un groupe terroriste lié à l’extrême-droite ukrainienne ». S’en suit une litanie d’accusations délirantes : Koltchenko est accusé d’avoir planifié des explosions près de la statue de Lénine à Simféropol les 8 et 9 mai, saboté des voies ferrées et des lignes électriques, tenté d’incendier les locaux de l’Unité Russe et de la Communauté russe de Crimée le 14 avril, et ceux de Russie Unie le 18 avril ! Alexandr Koltchenko est un antifasciste que la police politique tente de faire passer pour un fasciste. Alexandr Koltchenko est un homme qui se considère comme citoyen ukrainien et que la police politique russe veut juger en tant que russe. Il est enfermé dans des conditions draconiennes, ses avocats sont privés des droits élémentaires d’une défense digne de ce nom, et il est sous la menace de 15 à 20 ans de camp de travail.

La situation d’A. Koltchenko est emblématique de la répression exercée dans cette région du monde. Mais son cas est loin d’être le seul. A travers A. Koltchenko, ce sont les libertés démocratiques de tous et toutes que nous défendons. Notre démarche, comme celle d’A. Koltchenko, s’oppose donc à celles et ceux qui veulent restreindre ces libertés. Nous exigeons également la libération du cinéaste ukrainien Oleg Sentsov, détenu sous les mêmes accusations et risquant une peine semblable.

Pour la libération immédiate d’Alexandr Koltchenko, d’Oleg Sentsov et pour les libertés démocratiques dans tous les pays, nos organisations associatives, syndicales et politiques appellent à se rassembler :

MARDI 30 JUIN 2015 à 18H

devant l’ambassade de Russie à Paris

(40-50, boulevard Lannes, métro porte Dauphine)

Nos organisations appellent également à amplifier la solidarité internationale afin de dénoncer leur enlèvement et leur détention par les autorités russes (qui comptent les juger début juillet), exiger leur libération immédiate, et pour que le gouvernement ukrainien revendique explicitement leur libération. Nous poursuivons la souscription pour financer les frais de justice et aider ses comités de soutien à populariser la campagne de solidarité en Russie et en Ukraine. Les règlements sont à adresser à Solidaires (à l’ordre de Solidaires, avec au dos du chèque Koltchenko), 144, bd de la Villette, 75019 Paris.

Organisations signataires : Ligue des Droits de l’Homme, Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme, Groupe de résistance aux répressions en Russie, Ukraine Action, Association des Étudiants Ukrainiens en France, Russie-Libertés, CEDETIM – Initiatives Pour un Autre Monde – Assemblée Européenne des Citoyens, Cosmopolitan Project Foundation, Action antifasciste Paris-Banlieue, Collectif Antifasciste Paris Banlieue, Mémorial 98, Union syndicale Solidaires, CNT-f, CNT-SO, Emancipation, FSU, FSU 03, CGT Correcteurs, SUD éducation, Alternative Libertaire, Ensemble !, L’Insurgé, NPA, Fédération Anarchiste, Critique sociale.

 

L’urgence est à la lutte sociale

Les problèmes essentiels aujourd’hui dans le monde, ce sont les inégalités économiques qui s’aggravent, le chômage de masse, le manque de logements : les questions sociales en général. Le problème environnemental, qui d’ailleurs se recoupe avec les sujets sociaux, ne peut pas être résolu par une succession de résistances face à tel ou tel projet. S’attaquer réellement au problème implique de dénoncer clairement le système responsable, c’est-à-dire le mode de production capitaliste – qui exploite les travailleurs et la nature. Ne nous trompons donc pas sur les véritables priorités.

On voit là le rôle nuisible des courants politiques qui ne parlent pas des problèmes sociaux et écologiques, et qui à la place veulent créer la haine, la division entre ceux qui devraient s’unir pour changer les choses. L’extrême droite, surtout représentée en France actuellement par le FN, est un courant politique nuisible, violent et anti-démocratique. Le mensonge et le préjugé nationaliste sont ses principales bases. Or, au-delà du seul FN, tout repli se disant « protectionniste » n’aboutirait en réalité qu’à des reculs sociaux, qu’à une tension dans le domaine du travail qui entraînerait un recul des libertés. Et cela alors que la situation des salariés est déjà difficile : stress, bas salaires, etc., sont des résultats de la crise capitaliste qui dure depuis 2008, et de la politique néfaste des gouvernements successifs, en particulier par les différentes mesures d’austérité.

Une classe sociale n’agit pas toujours en fonction de ses intérêts réels, mais en fonction de la façon dont elle les perçoit. Afin de construire une mobilisation collective de masse, nous devons partir tout simplement des intérêts réels de la majorité de la population : salariés, chômeurs, etc. C’est unis sur ce qui nous rassemble que nous pouvons combattre efficacement la peur, la division, le rejet : avançons tous ensemble, prenons les choses en main, en nous organisant localement et sur les lieux de travail. C’est de mobilisations collectivement décidées et organisées dont nous avons besoin, et surtout pas de politiciens ennemis de l’auto-organisation. L’urgence est à la lutte sociale organisée par la démocratie directe à la base.

Création d’un réseau anticapitaliste dans le Gard

Nous reproduisons avec leur accord la présentation du Réseau Anticapitaliste AutoGEstionnaire, qui s’est récemment formé :

Le RAAGE est un réseau militant, anticapitaliste et autogestionnaire, ouvert à toutes celles et ceux qui, ici, dans le Gard, se reconnaissent dans la lutte de classe, le combat internationaliste, écologiste, féministe, contre le racisme, le fascisme, le sexisme, l’homophobie et dans la nécessité absolue de renverser le capitalisme.


La crise économique, sociale et écologique, et la fameuse dette qui en est la conséquence directe sont provoquées par les capitalistes insatiablement à la recherche du profit maximum. Elle leur sert à justifier les politiques d’austérité qui exploitent les peuples, les licenciements de masse, la précarité généralisée, la casse du droit du travail, la marchandisation des services publics, la stigmatisation et exclusion de l’« autre » (musulmans, roms, sans papiers, précaires) et la répression quotidienne et croissante des mouvements sociaux, sous prétexte de lutte contre le terrorisme. Le pillage des ressources naturelles, les pollutions massives de l’air, des sols et de l’eau, le changement climatique et la réduction massive de la biodiversité sont aussi les conséquences de cette course au profit. Le « capitalisme vert » n’y changera rien, c’est un leurre qui ne vise qu’à ouvrir de nouveaux marchés pour les mêmes multinationales qui détruisent la planète.


Nous n’avons rien à attendre des prétendus représentants du peuple et de leurs « solutions » réformistes, électoralistes et nationalistes qui ne servent que leurs propres intérêts et ceux du capital.
Nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes et sur nos luttes collectives!


Seule une rupture avec le capitalisme, sur la base d’une auto-organisation des opprimé.e.s, pourrait mettre fin aux crises économiques, politiques, sociales et écologiques dont nous souffrons. Nous devons nous débarrasser de cette société basée sur la concurrence, l’exploitation, la croissance destructrice, la domination étatique et les oppressions racistes, sexistes et homophobes. Nous devons bâtir une société où la production, contrôlée par les travailleurs et travailleuses, vise la satisfaction des besoins sociaux dans le respect des équilibres écologiques et de la dignité de toutes et tous.

Une société basée sur la socialisation des moyens de production et une réduction massive du temps de travail, l’autogestion généralisée, la démocratie directe, la solidarité internationale.


Le RAAGE s’est constitué sur cette base, à l’initiative de militant.e.s gardois.e.s du NPA (Nouveau Parti Anticapitaliste), d’AL (Alternative Libertaire), de la CNT (Confédération Nationale du Travail), de la FA (Fédération Anarchiste), et est ouvert à tous ceux et toutes celles qui se reconnaissent dans nos propositions : il s’agit d’élaborer une expression anticapitaliste, révolutionnaire, d’initier des luttes porteuses d’une remise en cause du capitalisme, de mener des actions d’éducation populaire, et de faire émerger des alternatives concrètes innovantes. C’est également un espace d’échange d’idées, de réflexion collective et de formation à l’auto-organisation pour avancer dans la réflexion sur des perspectives communes de transformation sociale.

RAAGE – Réseau Anticapitaliste AutoGEstionnaire. Nous contacter : raage.gard@gmail.com

Le FN, toujours une entreprise de haine

On les voit partout ces dirigeants du Front national, grassement payés comme permanents politiques avec notre argent (à cause du scandaleux financement des partis par l’Etat), dire qu’ils condamnent les récents « dérapages » « inutiles » (!) de Jean-Marie Le Pen. Ils font mine de s’indigner, mais tout ce discours pétainiste et ouvertement raciste, Jean-Marie Le Pen l’avait déjà tenu maintes fois : ils ne pouvaient pas l’ignorer quand ils ont adhéré au FN et ça ne les a pas empêchés de rejoindre le parti qu’il dirigeait. Il ne s’agit au fond ni de provocation ni de dérapage, le « président d’honneur » du parti d’extrême droite dit ce qu’il pense, et c’est effectivement immonde – c’est ce que sont les idées d’extrême droite. Par ailleurs, se sentant mis sur la touche, Jean-Marie Le Pen veut aussi rappeler qu’il conserve un espace médiatique, indépendamment de sa fille, et qu’il peut encore faire les grands titres des médias.

Marine Le Pen a reçu en héritage une entreprise, qui se trouve être une entreprise politique de haine : le Front national. Raisonnant en cheffe d’entreprise, elle cherche surtout à accroître ses parts de marché en se présentant différemment, dans le cadre d’une opération médiatique dite de « dédiabolisation ». Mais pour qu’il y ait dédiabolisation, il faudrait qu’il y ait eu d’abord diabolisation, ce qui n’est pas le cas. C’est en réalité une tentative de banalisation de l’extrême droite qui est menée par Marine Le Pen, bien aidée par certains médias et « éditorialistes » qui écument les plateaux de télévision. C’est parce qu’ils vont à l’encontre de cette stratégie marketing que les propos de Jean-Marie Le Pen sont reniés par l’actuelle direction du FN. Néanmoins, sur le fond, cette opération de normalisation des apparences est menée sans renoncer aux fondamentaux d’extrême droite : la haine, le mensonge, les amalgames, etc.

Le FN version père était formé par une extrême droite d’il y a quarante ans, très politisée et véhiculant divers mensonges historiques afin de nier les responsabilités directes de l’idéologie d’extrême droite dans les crimes contre l’humanité commis pendant la Deuxième Guerre mondiale par la dictature nazie, avec la complicité active de l’Etat pétainiste. Le FN version fille est beaucoup plus dépolitisé, à l’image de son électorat, et l’histoire n’y intéresse plus grand monde : il leur suffit de parler d’autre chose, de botter en touche, tant ils sont surtout animés par une haine primaire, qui n’est pas développée dans une théorisation, et ils n’ont au fond pas de véritable idée précise de comment il faudrait exercer le pouvoir (mais il est certain que s’ils l’exerçaient, ce serait de façon autoritaire et dictatoriale).

Cependant, de véritables nostalgiques du régime de Vichy, du fascisme, etc., existent au sein du FN actuel, même s’ils sont sans doute minoritaires parmi les adhérents. Marine Le Pen a tout intérêt à rester dans le flou actuel en interne tant que la présence des fascistes n’est pas trop médiatisée, de même qu’elle reste dans le flou politiquement afin de ratisser plus large et de toucher un électorat désorienté et déçu par le PS et l’UMP.

La lutte contre l’extrême droite est une partie indispensable de notre action, mais elle doit aussi et surtout s’en prendre aux causes sociales qui font que le FN, et plus généralement son discours de haine, ont le vent en poupe.

Ne nous laissons pas leurrer par les changements dans la façon de présenter la politique de la haine, démasquons la tentative de banalisation de l’extrême droite. S’il est très peu probable que le FN puisse arriver par lui-même au pouvoir, il n’en est pas moins extrêmement dangereux. D’abord, parce que ses thématiques se diffusent depuis des années au sein d’autres partis. Ensuite, parce que le seul moyen réaliste pour le FN d’arriver au pouvoir serait de s’allier avec la droite traditionnelle – c’est comme ça que le parti nazi a pris le pouvoir en 19331 – et on ne peut avoir aucune certitude, puisqu’on a vu par le passé que l’UMP était prête à n’importe quelle ignominie.

Ce n’est pas tant de « vigilance » dont il y a besoin aujourd’hui, mais d’action sociale à la base, en partant des intérêts communs concrets de l’immense majorité de la population afin de mener des luttes collectives contre l’exploitation et l’aliénation. Ces luttes unissent les travailleurs, les précaires, les chômeurs, en tant que classe sociale, et ce quelles que soient leur nationalité, leur origine. C’est sur l’individualisme et le désespoir social que prospère la haine : attaquons le mal à la racine !

1 Sur cette prise du pouvoir par l’extrême droite nazie en Allemagne, voir notre brochure : Les Rapports de force électoraux dans la République de Weimar, Critique Sociale, 2013.

Capitalisme : c’est reparti pour un tour ?

Comment l’histoire retiendra la crise du capitalisme que nous vivons actuellement : sera-t-elle désignée comme « la crise de 2008-2016 » ? Il est trop tôt pour le dire, mais des éléments tendent à montrer que la crise économique irait vers sa fin. Cela ne veut pas du tout dire que la situation deviendrait rose : d’ailleurs, le chômage reste à un niveau élevé au sein de l’Union européenne – autour de 10 %. Cependant, la tendance d’ensemble est à la baisse, après un pic en 2013. La baisse est encore plus importante aux Etats-Unis, même s’il ne faut pas se leurrer quant aux emplois précaires, mal payés, etc., qu’occupent nombre d’ex-chômeurs.

Comment va se porter le capitalisme dans les années qui viennent ? Cela dépend bien sûr du point de vue. A court terme, pour la classe capitaliste, les profits vont probablement s’accroître de nouveau. De leur point de vue, la machine repart ! Pour les travailleurs, par contre, la situation va rester difficile – à moins de véritables luttes sociales d’ampleur permettant d’inverser le rapport de force entre les classes sociales. Pour ce qui est du mode de production lui-même, il va de toute façon rester basé sur l’exploitation et l’aliénation des travailleurs. Il va plus largement rester empêtré dans ses contradictions. Il est d’ailleurs tout à fait possible que ces dernières se manifestent de façon soudaine, inattendue, dans les mois ou les années qui viennent, annulant ainsi les signes favorables que les capitalistes voient actuellement s’accumuler. Cette crise pourrait de cette façon durer plus d’une décennie.

Quoi qu’il en soit, les expédients utilisés pour faciliter la sortie de crise seront en même temps les ferments d’une future crise. Le cycle ne pourra s’arrêter que par l’abolition du mode de production capitaliste, par l’abolition du système salarial.

L’heure n’est donc pas encore au bilan définitif de cette crise, puisqu’elle est toujours en cours. Elle aura en tout cas confirmé une fois de plus le caractère violent et instable du capitalisme. Pour notre part, nous pensons que se confirme également le fait que le capitalisme ne s’écroulera pas de lui-même : il faudra un mouvement révolutionnaire mondial auto-organisé pour en finir avec ce mode de production inégalitaire, aliénant et destructeur.

Garanti sans trucage : titre sur le site des Echos, le 20 mars 2015.